Au cœur de la forêt « Like Flesh » de Cordelia Lynn

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C’est à une originale, étrange, belle et pertinente expérience lyrique que Cordelia Lynn, la librettiste, Sivan Eldar, la compositrice, Maxime Pascal, le chef d’orchestre, et Sylvia Costa, la metteure en scène, nous ont invités avec leur Like Flesh auparavant créé à l’Opéra de Lille, et justement récompensé du prix FEDORA pour l’Opéra 2021.

C’est doublement que cet opéra de chambre bien d’aujourd’hui nous emmène au cœur de la forêt, dans sa thématique et dans ses moyens musicaux et scénographiques.

Une femme a suivi son mari, un bûcheron, dans la forêt. Elle s’étiole dans cette vie qui n’est que destruction, abattage encore et encore, soumission aux façons d’être suicidaires de nos sociétés. Le surgissement d’une étudiante, qui va l’aimer, précipite sa destinée : elle se métamorphose en arbre. La voilà désormais au cœur de la forêt.

La partition de Sivan Eldar, interprétée en direct dans la fosse par des membres de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine et traitée informatiquement grâce à Augustin Muller de l’IRCAM est telle que nous aussi, les spectateurs, nous voilà désormais au cœur de la forêt. 

Une soixantaine de haut-parleurs ont en effet été disséminés dans la salle, sous les fauteuils, immergeant le public dans des sonorités mouvantes, pareilles aux bruissements, aux souffles, aux balancements des arbres dans une forêt. Fascinante expérience sonore qui, de spectateurs distanciés, nous métamorphose en témoins impliqués.

Silvia Costa, dont on avait pu apprécier à Nancy la saison dernière la lecture précise, inventive, multiple, de la Julie de Philippe Boesmans, fait preuve, cette fois encore, d’une parfaite maîtrise scénique, combinant, sans aucune sollicitation, sans aucun hiatus, mise en situation des interprètes et projections d’images. Le plateau est dans la pénombre, les personnages s’y déplacent lentement au milieu de quelques objets significatifs, qui disent la destruction, qui suggèrent la métamorphose. Sur les trois côtés de la scène, trois grandes « fenêtres » donnent à voir et à imaginer : des images en mouvement d’une forêt dans sa diversité et ses évolutions saisonnières, des flux de couleurs et d’étranges galaxies. 

Ce que Cordelia Lynn, Sivan Eldar et Sylvia Costa ont réussi, c’est de nous sensibiliser à une facette de notre autodestruction, celle qui passe par l’anéantissement de la nature. Elles ne nous font pas la leçon, ne nous rabâchent pas la bonne parole, elles inventent une fiction révélatrice, elles nous emmènent dans une aventure sensorielle, musicale, sonore, visuelle. Voilà de quoi nous toucher davantage, nous impliquer, nous les adultes. Voilà de quoi impressionner mes voisins dans la salle, de jeunes élèves du primaire qu’on avait heureusement invités à vivre cela. Plus que les mots, ils n’oublieront pas ce qu’ils auront vécu sensoriellement. Gravé en eux.

Maxime Pascal, le chef, a permis que les méandres subtils de la partition nous atteignent et s’inscrivent en nous comme des images… sonores, dans le même mouvement coloré et fluide que celui des images projetées. Quant à Helena Rasker, la Femme/l’Arbre, William Dazelay, le Forestier/son Mari, et Juliette Allen, l’Etudiante, ils ont été les « acteurs » bienvenus de cette métamorphose révélatrice. Quelle bonne idée aussi que celle de la Forêt confiée à un chœur de six interprètes aux voix distinctes et conjuguées : Florent Baffi, Sean Clayton, Hélène Fauchère, Emmanuelle Jakubek, Thill Mantero et Guilhem Terrail. 

Une soirée lyrique de nouveau bellement paradoxale : cette fois, nous ne nous sommes pas réjouis d’une tragédie, mais nous avons aimé l’évocation d’une catastrophe annoncée… qui se termine quand même par des mots d’espoir : « Un jour nous reviendrons. La vie, pleine d’espoir, se forme dans les failles ».

Stéphane Gilbart

Opéra National de Lorraine, le 2 octobre 2022 –



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