A l’Opéra de Lausanne, Nemorino à Lilliput  

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Pour ouvrir la saison 2022-2023, l’Opéra de Lausanne reprend la production de L’Elisir d’amore qu’Adriano Sinivia avait conçue en octobre 2012 avec le concours de Christian Taraborelli pour les décors, Ezio Iorio pour les costumes et Fabrice Kebour pour les lumières. Et les festivaliers de cet été ont eu l’occasion de l’applaudir aux Chorégies d’Orange.

Alors qu’une projection vidéo nous entraîne dans une campagne idéalisée comme un dessin d’enfant, se dégage peu à peu le cadre scénique constitué d’épis de blé démesurés avec une gigantesque roue de tracteur, côté jardin, et de l’autre, une tige de coquelicot dodelinant sous le poids plume du timide Nemorino. Tout le petit monde de paysans qui grouille au-dessous de cette fleur a, comme lui, une dimension lilliputienne. Et c’est d’une boîte de conserve cabossée que surgiront le sergent Belcore qui tient du pirate des Caraïbes  et ses quelques soudards tout droit sortis d’un ost médiéval avec leur piteuse cuirasse. Sur un chariot à moteur est véhiculée l’énorme bouteille d’élixir, surmontée d’une gloriette où officie Dulcamara le charlatan, avant qu’une pluie diluvienne n’engloutisse le projet d’une déraisonnable union entre Adina et le militaire fanfaron. Sur un carrousel pour enfants, ce dernier enfourchera un cheval de bois afin que l’un de ses sbires exécute son portrait en pied, sous un chapelet d’ampoules géantes qui éclatent sous la chaleur. Et l’on parvient au happy end final avec un franc  sourire, car cet enchaînement de gags, plus désopilants l’un que l’autre, nous a tenus continuellement en haleine. 

Il faut dire qu’y contribue aussi la direction du chef israélien Nir Kabaretti qui, dès les premières mesures du Preludio, dirige avec une énergie inaltérée et une louable précision l’Orchestre de Chambre de Lausanne et le Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé par Gleb Skvortsov. Mais au fur et à mesure que progresse l’action, ce flux sonore trop uniforme manque singulièrement de nuances pour une salle de dimension limitée.

Pour donner une chance à de jeunes solistes, Eric Vigié, le directeur du théâtre, leur confie deux des six représentations. La première du dimanche 2 octobre a pour principal protagoniste le ténor germano-turkmène Dovlet Nurgeldiyev qui campe un Nemorino touchant par sa candeur ingénue et qui exhibe une ligne de chant magnifique ornementée de notes filées, suggestives de son désarroi. Face à lui, la soprano moldave Valentina Nafornita déçoit lourdement par ce timbre rocailleux sans charme à l’aigu souvent strident. Sa technique de vocalisation, des plus sommaires, l’oblige à savonner les passaggi et cadenze de son ultime scena « Prendi, per me sei libero ». N’est pas Renata Scotto qui veut ! Mais elle a pour elle une indéniable présence qui rend crédible sa composition d’Adina, ce pourquoi l’on retient le Belcore de Giorgio Caoduro qui, avec une irrésistible drôlerie, joue les matamores imbus d’eux-mêmes, tout en accommodant à ses moyens une coloratura dense qu’il saucissonne en la fragmentant démesurément. Par contre, s’avère éblouissant le Dulcamara de la basse roumaine Adrian Sampetrean qui personnifie le fieffé bonimenteur avec un aplomb lui permettant de négocier avec panache les cascades de paroles qui en font le sel comique. Et la jeune Aurélie Brémond est une pimpante Giannetta dans chacune des deux distributions. 

Au rideau final, le public enthousiasmé applaudit durant une bonne dizaine de minutes tous les artisans de cette indéniable réussite.

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 2 octobre 2022

Crédits photographiques :  M. Vanappelghem

 

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