Au Regio de Turin, "Goyescas" et "Suor Angelica"

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Giuseppina Piunti (Rosario) and Andeka Gorrotxategui (Fernando) © Ramella & Giannese | Teatro Regio Torino

Une ‘Cavalleria’ à l’espagnole et une novice dans un asile de fous, telle est l’étrange cohabitation que vient de proposer le Teatro Regio de Turin dans une mise en scène et des décors d’Andrea De Rosa et des costumes d’Alessandro Ciammarughi. De son cycle pianistique ‘Goyescas’ (en laissant de côté l’Epilogue : Sérénade du Spectre), Enrique Granados a utilisé six numéros auxquels s’ajoutent une page de jeunesse, ‘El Pelele’ et quelques-unes des ‘Tonadillas’.

Face à une orchestration maladroite, le chœur se taille la part du lion; et avec la célèbre ‘La maja y el ruisenor’, l’aria de Rosario attire l’attention du spectateur. La trame est des plus sommaires : la belle Rosario est liée à Fernando, capitaine de la Garde royale ; mais elle est courtisée par le torero Paquiro, amant de Pepa. Au cours d’un bal, les deux hommes en viennent aux mains ; et Fernando meurt dans les bras de Rosario. D’une extrême pauvreté, le livret de Fernando Periquet se contente de greffer des paroles sur une musique géniale inspirée des ‘Caprices’ de Goya. A Turin, Andrea De Rosa restitue l’atmosphère noire de ces toiles gigantesques avec une surface creusée par un fossé d’où la populace exhibera le fantoche (el pelele) et où s’engouffrera un Fernando à tête de taureau luttant à mort contre le toréador. Et ce chef remarquable qu’est Donato Renzetti galvanise les forces du Regio et le plateau d’où se détachent la Rosario de Giuseppina Piunti et le Fernando du ténor Andrea Gorrotxategui.                                                                                                                 Saugrenue pourrait paraître l’idée de transposer "Suor Angelica", mélodrame sulpicien derrière les grilles carcérales d’un asile d’aliénés : quelques "Magdalenen Sisters", efflanquées d’une doctoresse à blouse blanche, passent camisole de force à deux ou trois pauvresses qu’Angelica soutient de sa compassion ; et c’est l’une d’elles qui, lors du dénouement, glissera dans ses bras une poupée de chiffon. De la distribution en tous points remarquable, il faut citer la touchante Genovieffa de Damiana Mizzi et relever l’autorité de la Zia Principessa d’Anna Maria Chiuri. La Suor Angelica d’Amarilli Nizza compense par l’intensité de son jeu ce que l’aigu a perdu en justesse dans un vibrato envahissant. Et la baguette de Donato Renzetti fait de l’œuvre un crescendo d’expression amenant à une indicible émotion.
Paul-André Demierre
Turin, Teatro Regio, le 25 janvier 2015

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