Autour de l’opéra magique viennois,  un beau récital du baryton Konstantin Krimmel

par

Zauberoper. Airs de Benedikt Schack (1758-1826), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Franz Xaver Gerl (1764-1827), Johann Baptist Henneberg (1768-1822), Peter von Winter (1754-1825), Paul Wranitzky (1756-1808), Antonio Salieri (1750-1825), Joseph Haydn (1732-1809) et Christoph Willibald Gluck (1714-1787). Konstantin Krimmel, baryton ; Hofkapelle München, direction Rüdiger Lotter. 2021. Notice en allemand, en anglais et en français. Textes des airs en allemand, avec traductions en anglais et en français. 64.55. Alpha 892.

Ami de la famille Mozart depuis 1780 et frère de loge de Wolfgang Amadeus, l’acteur, chanteur, metteur en scène et poète prolifique Emanuel Schikaneder (1751-1812) prend en 1790 la direction du théâtre viennois Auf der Wieden. C’est dans ce lieu propice aux spectacles magiques ou féeriques, notamment en raison de son ingénieuse machinerie, qu’est créée le 30 septembre 1791 La Flûte enchantée dont Schikaneder a rédigé le livret. Le présent récital intitulé « Zauberoper » consiste en une sélection d’extraits d’œuvres jouées dans ce théâtre au cours des années 1790. 

Originaire d’Ulm, où il a chanté dans un chœur de garçons, le baryton d’origine germano-roumaine Konstantin Krimmel (°1993) se perfectionne à Stuttgart et à Munich. Il remporte plusieurs prix, dont celui du Concours de lied Helmut Deutsch en 2018. Pour le label Alpha, il a enregistré avec la pianiste Doriana Tchakarova l’album Saga, où l’on retrouvait Schubert, Schumann, Loewe et Jensen, ainsi que la Brockes-Passion de Handel sous la direction de Jonathan Cohen. Ce baryton à la voix claire y chantait le rôle de Jésus. Il démontre cette fois ses affinités avec un répertoire opératique où il se distingue avec une réelle sensibilité.

Le programme est bien construit et introduit le mélomane dans cette partition curieuse qu’est Der Stein der Weisen oder die Zauberinsel (« La Pierre philosophale ou l’île enchantée »), inspirée d’un recueil de contes de fée du poète Christoph Martin Wieland (1733-1813). Ce Singspiel, dont le livret est de Schikaneder, a la particularité d’être une œuvre collective due à deux chanteurs de sa troupe, Benedikt Schack et Franz Xaver Gerl auxquels se sont joints le maître de chapelle Johann Baptist Henneberg et Mozart dont, précise la notice signée par le chef d’orchestre Rüdiger Lotter, on a pu montrer qu’il a composé environ un tiers de l’opéra. On entend l’ouverture, aux accents vivaces, cuivres et timbales à l’avenant, et trois airs où il est question de friponneries et de roueries féminines, mais aussi d’éléments magiques, comme une flèche ou un oiseau. Krimmel est à l’aise dans ces morceaux enjoués, sa voix aux couleurs variées dessinant l’action avec vigueur. Il est tout à fait impeccable dans l’air qui suit, celui de Papageno (Der Vogelfänger bin ich ja), où l’oiseleur de Mozart est vraiment en joie et plein d’entrain.

Schikaneder envisage une suite au succès triomphal de La Flûte enchantée, mais Mozart décède. Un pâle Peter von Winter prendra le relais pour cette deuxième partie, Das Labyrinth. Mais la musique du Bavarois n’est pas à la hauteur du projet, et c’est un échec. Dans son récital, Krimmel en sauve néanmoins l’air de Papageno, Nun adieu, ich reis’, ihr Schätzen dont il souligne le charme en lui insufflant de l’élégance, lorsque le héros invite l’une ou l’autre amoureuse à l’accompagner. Ce non-succès a été joué en 1798. Le programme nous ramène ensuite près de dix ans auparavant, avec l’Obéron de Paul Wranitzky, joué à Auf der Wieden en 1789. Deux airs soulignent les qualités d’orchestrateur de ce compositeur morave (il a laissé plusieurs dizaines de symphonies à ne pas dédaigner), qui est, lui aussi, un frère de loge de Schikaneder. L’accueil de cette autre inspiration wielandienne connaît un beau succès, avec un héros défendant son amour à travers des épreuves initiatiques. On pense immédiatement à l’opéra éponyme de Weber, les qualités mélodiques de Wranitzky sonnant déjà comme aux débuts du romantisme. Dans le rêve de Scherasmin, où sont étalés bien des délices dont des allusions au Miaou de chats sauvages, Krimmel fait la preuve de toute la souplesse de sa voix, avec l’évidence d’une diction très soignée qui se vérifie tout au long de son parcours.

L’affiche fait place à des productions jouées antérieurement sur d’autres scènes et reprises par Schikaneder. La Grotta di Trofonio de Salieri provient du Burgtheater, où elle a été programmée en 1785. Sa flambante ouverture est suivie de deux airs pleins de fantaisie. De Haydn, deux extraits d’Orfeo e Euridice et deux autres d’Orlando Paladino, chantés en alternance, mettent à nouveau en valeur la clarté de l’émission vocale du baryton, à laquelle s’ajoutent une noblesse de ton et une réelle émotion.

Ce très beau récital, projet intelligent, a été enregistré en la Neustädter Universitätskirche, un édifice luthérien situé dans la cité bavaroise d’Erlangen, à une vingtaine de kilomètres de Nuremberg. Il confirme le talent d’un jeune chanteur très investi, qui a un bel avenir devant lui et dont on suivra la carrière avec beaucoup d’attention. Il est superbement soutenu par la Hofkapelle de Munich, formation qui existe depuis un peu plus de dix ans et qui joue sur des instruments historiques. Son fondateur, Rüdiger Lotter (°1969), a un sens inné du raffinement et du dosage des nuances. Des moments confiés à l’orchestre seul en témoignent. L’album s’achève par la Reigen seliger Geister (‘Ronde des esprits bienheureux’), tirée d’Orfeo e Euridice de Gluck. Que de finesse !

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

    

 

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