Beethoven par Bezuidenhout et Heras-Casado

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Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Concertos pour piano et orchestre n° 2 op. 19 et n° 5 op 73 « Empereur ». Kristian Bezuidenhout, pianoforte ; Freiburger Barockorchester, direction Pablo Heras-Casado. 2020. Livret en français, anglais et allemand. 60.03. Harmonia Mundi HHM 902411.

Dans le cadre des 250 ans de la naissance du maître de Bonn, le label Harmonia Mundi a mis en place un considérable projet dont le contenu est bien détaillé dans le livret. Il dépassera le cadre de cette année, puisque des publications sont prévues jusqu’en hiver 2021. On devrait même aller au-delà puisque l’on peut découvrir un sigle 20/27, qui indique que d’autres initiatives sont envisagées, rappelant dans la foulée qu’en 2027, ce sera la commémoration des 200 ans de la disparition de Beethoven. Plusieurs années autour du compositeur, ce n’est pas pour nous déplaire ! Dans ce qui est annoncé pour l’instant, cette vaste édition comprendra les symphonies, confiées à différents orchestres et chefs, ainsi que leurs transcriptions au piano par plusieurs interprètes, des sonates et autres pièces pour piano, de la musique de chambre ou encore le Triple Concerto ou la Missa Solemnis. Mais aussi une intégrale des concertos pour piano. Celle-ci est l’apanage de Kristian Bezuidenhout et des Freiburger Barockorchester sous la baguette de Pablo Heras-Casado. Le Concerto n° 4, associé à des ouvertures, verra le jour en août prochain ; les Concertos n° 1 et n° 3 à l’hiver 2021. On y ajoutera la Fantaisie chorale pour piano, chœur et orchestre, couplée en toute logique avec la Symphonie n° 9, en septembre de cette année de commémoration. Mais là, tout de suite, on peut déjà découvrir une version des Concertos n° 2 et n° 5. 

Ce magnifique pianiste qu’est Kristian Bezuidenhout a enchanté la critique à travers une discographie déjà bien fournie où l’on retrouve notamment sonates et concertos de Mozart, sonates de Beethoven avec Viktoria Mullova ou de Bach avec Isabelle Faust, lieder de Schuman et de Schubert, dont un touchant Winterreise avec Mark Padmore. Les récompenses ont suivi, à juste titre. Né en 1979, d’origine sud-africaine mais de nationalité australienne, ce virtuose a étudié aux Etats-Unis et s’est voué à la pratique de l’exécution historique, sans négliger pour autant les grands pianos de concert. Bezuidenhout explique dans une notice qu’il signe que l’idée d’une intégrale des concertos a démarré en 2015 lorsque, à l’occasion d’une tournée en Allemagne et en Espagne avec le même chef et la même phalange, une proposition d’enregistrer le tout a été faite. Mais la concrétisation n’a eu lieu qu’en décembre 2017, en deux jours, dans le cadre de l’Ensemblehaus de Fribourg. On lira avec intérêt ces quatre pages éclairées, dans lesquelles Bezuidenhout explique que le choix du pianoforte s’est porté sur « une copie d’un piano Graf à la sonorité brillante, richement colorée et chantante, réalisée par Rodney Regier en 1989 ». Il précise aussi que pour le Concerto n° 2, il a été autorisé par Robert Levin à graver une transcription de sa cadence pour le premier mouvement, que l’on trouve dans un CD Archiv avec Gardiner et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique.

On reconnaîtra que cela fonctionne à merveille dans cet opus 19. Le son métallique et, disons-le, parfois mince de son pianoforte par ailleurs séduisant et aux accents délicats, sert avec une infinie finesse le propos contemplatif et poétique de l’Adagio, comme la vitalité de l’Allegro con brio initial et l’évocation de danses que l’on décèle dans le Finale. D’autant plus que la dextérité de Bezuidenhout est rayonnante et découpe des zones d’ombres et de lumière qui font penser à un délicat pastel. La cadence adoptée, comme expliqué ci-avant, est riche en raffinements et en expressions claires et variées. Cette réussite bénéficie de la complicité des forces de Fribourg et de la capacité de Heras-Casado à assurer l’équilibre décoratif nécessaire. L’interprétation du Concerto n° 5, dont le sous-titre évoque la grandeur revendiquée, risque par contre de faire l’objet de bien des discussions. Beaucoup de commentateurs considèrent que le grand piano de concert est plus approprié à la dimension de l’œuvre que le pianoforte, avis que nous avons tendance à partager. Bezuidenhout va-t-il réussir la gageure ? Le débat est ouvert. On est d’emblée convaincu par l’orchestre qui entame l’Allegro avec vigueur et une envolée héroïque que l’on apprécie. L’entrée du piano convainc tout autant, car le toucher de Bezuidenhout est vivifiant, avec une implication dans le dialogue avec les instrumentistes. Mais au fil du temps, un effet de déséquilibre apparaît, engendré par la maigreur du clavier. C’est esthétiquement beau, on se réjouit, mais l’orchestre en arrive à dominer, malgré le soin attentif que l’on devine chez le chef pour maintenir la balance à son juste niveau. C’est le grand geste qui est absent en cette fin de premier mouvement, il cède la place à la fragilité et la dévoile. La méditation de l’Adagio est dosée avec une lenteur calculée, dans une option chambriste qui finit hélas par cristalliser les craintes d’évanescence progressive, comme si une part d’âme se retirait. On est quasiment à bout d’attente lorsque le troisième mouvement ouvre des perspectives sur ce qui doit mettre en évidence la profondeur dynamique du propos. Mais l’on reste sur sa faim, là aussi, car l’élan, le brio, la puissance sont en quelque sorte estompés et la conclusion de la partition n’apporte pas le poids triomphal qu’elle réclame.

Répétons-le : cette interprétation va sans doute diviser car la dimension plastique est présente, la suavité et la grâce sont au rendez-vous et la compréhension de l’univers beethovenien est réelle. Mais c’est la grandeur sonore dont on est frustré dans le Concerto n° 5 et cela, c’est quelque peu rédhibitoire.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 8

Jean Lacroix  

 

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