Bas Wiegers, à propos de Louis Andriessen

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La récente parution de l’enregistrement de The Only One de Louis Andriessen nous a donné envie d’évoquer cette oeuvre et ce compositeur aussi exceptionnel qu’inclassable. Le chef d’orchestre Bas Wiegers, qui a dirigé la première néerlandaise de cette partition sur la scène du Concertgebouw d’Amsterdam, répond aux questions de Crescendo Magazine. 

Vous avez dirigé la première néerlandaise de The Only One. Cet événement avait-il une signification particulière pour vous ? 

C'était un moment particulier. Je remplaçais à la dernière minute mon collègue Ryan Wigglesworth qui était tombé malade. J'ai donc dû apprendre l'ensemble du répertoire au programme en quelques jours seulement. C'est donc avec un grand plaisir que j'ai pu étudier, aux côtés de Messiaen et Ravel, deux partitions de compositeurs avec lesquels j'avais pour ainsi dire "grandi" : Louis Andriessen et Martijn Padding. Avant cela, j'avais souvent travaillé en étroite collaboration avec Louis Andriessen. Lorsque vous êtes confronté à une nouvelle pièce comme celle-ci, c'est comme si on vous racontait une nouvelle histoire dans une langue qui vous est déjà très familière. La partition contient tous les éléments d'Andriessen : elle est audacieuse, séduisante, avec de beaux accords qui ne sont jamais prévisibles et de belles mélodies qui ne deviennent jamais sentimentales. 

Louis Andriessen est un compositeur fondamentalement "inclassable », il est difficile de le rattacher à une école (minimaliste, sérialiste, éclectique...). Comment le définiriez-vous en quelques mots ? 

 Ce n'est pas possible, exactement pour la raison que vous évoquez. Ce qui est bien avec Andriessen, c'est qu'il reste toujours têtu. Même si vous pensez comprendre la musique, il dira toujours quelque chose -même si c'est juste pour vous empêcher de dormir- pour vous mettre sur la mauvaise piste. Les influences musicales (son père, le compositeur Hendrik Andriessen, les débuts du jazz, le style minimal, Ravel, Bach) sont évidentes. Mais pour moi, les influences extra-musicales sont tout aussi évidentes : l'Amsterdam des années 60 et 70, la photographie d'Ed van der Elsken, la poésie de Lucebert, etc. Louis a toujours été inspiré par bien plus que le simple solfège. 

Louis Andriessen est un compositeur qui n'est pas très connu dans les pays francophones, mais qui est très connu et apprécié dans les pays anglophones. A votre avis, qu'est-ce qui explique son succès ?

 Cela a probablement quelque chose à voir avec son caractère direct, qui est plus anglo-saxon que sud-européen. Il s'agit bien sûr d'un cliché, qui n'est donc que partiellement vrai. Mais la brutalité, la franchise et la crudité qui caractérisent les Pays-Bas de sa génération (ajoutez à cela les émeutes des squatters d'Amsterdam, la résistance contre la guerre du Viêt-Nam, l'ouverture précoce à des points de vue tels que le féminisme, l'avortement, l'émancipation des homosexuels) ont créé une manière de communiquer complètement différente de celle de l'Allemagne d'après-guerre ou de la France de Sartre et Beauvoir. Cette émancipation et cette ouverture néerlandaises (et dans une certaine mesure américaines) ont également entraîné une distinction moins poudrée entre le "grand" et le "petit" art. Pourquoi Charlie Parker est-il moins intéressant que Boulez ou Stockhausen ? On entend cette ouverture et cette curiosité dans la musique d'Andriessen. Lorsque je dirige sa musique dans un pays autre que les Pays-Bas, je dois toujours faire de mon mieux pour qu'un coup sec, dur et percussif sur un morceau de bois sonne vraiment comme un coup sur un morceau de bois. En France ou en Autriche, ils aiment lui conférer une sorte de beauté qui rappelle Brahms ou Debussy. La beauté d'Andriessen est simplement celle d'un coup sur un morceau de bois. 

Parfois, les œuvres tardives des compositeurs ont un ton sombre ou nostalgique. J'ai le sentiment que cette œuvre est une explosion de couleurs et de virtuosité instrumentale. Qu'en pensez-vous ?  

 Oui, je n'appellerais pas ça de la nostalgie. Louis abhorre tout ce qui a tendance à être sentimental. Le texte est si expressif, il ne faut pas en rajouter.

Ce concert proposait aussi des œuvres de Messiaen et Ravel, compositeurs pour lesquels la notion de couleur instrumentale est importante. Il me semble que la couleur instrumentale est un aspect très important du travail d'Andriessen ? Partagez-vous cette impression ?

 Absolument. Dans sa sensibilité à la couleur, Andriessen est (aussi du fait de son père Hendrik et de compositeurs comme Rudolf Escher) très influencé par les compositeurs français en particulier. 

Comme je l’ai dit, Louis Andriessen n'est pas très connu dans le monde francophone. Pensez-vous que The Only One soit une bonne partition pour découvrir l'univers sonore du compositeur ?

 The Only One peut certainement être un début. Mais aux personnes qui ne connaissent pas Andriessen, je conseillerais d'écouter ses grandes œuvres. À mon avis, De Materie est unique, et comme voyage, il peut certainement se comparer à la Turangalîla de Messiaen. Si les gens veulent commencer par une partition de dimensions plus petites, Hout est aussi une excellente introduction. 

Le site de Bas Wiegers : www.baswiegers.com

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

https://www.crescendo-magazine.be/the-only-one-par-louis-andriessen/

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