Portrait de compositrice : Mélanie-Hélène Bonis dite Mel Bonis (II)
Suite de notre dossier sur Mel Bonis sous la plume d'Anne-Marie Polomé.
Charles Cornet, correspondant de la revue Le Guide musicalde Bruxelles écrit, le 10 juin 1906, « Madame Mel-Bonis n’est point une professionnelle de la composition dans le sens exact du mot ; mûrie par une étude réfléchie des classiques, ayant reçu les leçons et les conseils de maîtres tels que Franck et Guiraud, douée d’une intelligence personnelle, la musique est pour elle l’idéale ressource de l’expression sentimentale et d’une foi ardente. Les moyens, rigoureux en la forme, ne sacrifient ni à l’afféterie, au mauvais goût du monde auquel elle appartient, ni au désir outrecuidant d’étaler aux oreilles stupéfaites des bizarreries déconcertantes ou des trouvailles périlleuses ».
Le piano inspire beaucoup Mélanie. Elle compose pour un piano, pour deux, pour piano à quatre mains. Ses descendants ont répertorié 76 œuvres pour cet instrument, dont voici quelques exemples.
Le Quatuor avec piano n°1 en si bémol accompagné d’un violon, d’un alto et d’un violoncelle et exécuté notamment le 22 mai 1906 à la salle Berlioz, recueille toujours un beau succès. Le Mercure musical le juge alors « très féminin mais non efféminé ».
Mélanie l’ayant créé dans son salon en présence de musiciens de renom, le 4 juin 1905, on rapporte une réflexion de Camille Saint-Saëns à Jean Gounod artiste peintre, fils du compositeur Charles Gounod : « Je ne croyais pas qu’une femme puisse écrire cela : elle connaît toutes les ficelles du métier !». Cela peut être vu comme un compliment ou une triste réflexion sur le fait que les femmes compositrices étaient soit ignorées, soit considérées comme de seconde zone.
Un cycle consacré aux Femmes de Légendes puise son inspiration dans la mythologie grecque, dans la légende du Graal, dans la littérature ou le théâtre. Il rassemble 7 dames aux destins particuliers dont la personnalité et la culture inspirent sa musique qui révèle la nostalgie, la tristesse, le noir, le froid et devient symbolique ou romantique. Elle peut être aussi dansante avec des influences orientales. Il s’agit de pièces remarquables pour piano seul.
(1) Mélisande, « mon morceau préféré », écrit Mélanie sur la partition. Le thème vient d’une pièce symbolique de l’écrivain belge Maurice Maeterlinck (prix Nobel de littérature en 1911), créée le 17 mai 1893 au Théâtre des Bouffes-Parisiens. Enfermée dans sa tour, Mélisande discute, fenêtre ouverte, avec Pelléas, son beau-frère. « Sa chevelure se dénoue tout à coup tandis qu’elle se penche et inonde Pelléas ».
(2) Desdémone est un personnage de l’Othello de Shakespeare. Elle épouse Othello qui la tue la croyant infidèle, à tort.
(3) Viviane, une fée de la légende du Saint Graal est une pure jeune fille, la mère adoptive de Lancelot qu’elle éduque et à qui elle insuffle sagesse et courage. Lancelot deviendra le plus célèbre Chevalier de la Table Ronde.
(4) Omphale naît de la mythologie gréco-latine. D’après Ovide, cette Reine de Lydie oblige son esclave Héraclès à porter des habits de femme et à filer la laine tandis qu’elle se dote de la peau du lion de Némée et porte la massue.
(5) Salomé, qui apparaît dans les évangiles de Matthieu et de Marc, montre le charme et la séduction de l’Orient. Forcée par sa mère, dont l’union est contraire à la Loi, elle danse lascivement devant Hérode Antipas et exige qu’on lui donne la tête de Jean le Baptiste, celui qui exhorte les Juifs à mener une vie vertueuse.
(6) Ophélie est un personnage de l’Hamlet de Shakespeare qui se jette à l’eau et « coule musicalement au long du fleuve qui la conduit à Dieu » après qu’Hamlet, son amant, ait tué son père. Dans un poème, Arthur Rimbaud écrit :
…Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc sur le long fleuve noir…
(7) Phoebé vient de la mythologie grecque. Elle est la sœur de Phoebus, le soleil, et symbolise la lune, l’aspect froid de la féminité.
Certaines de ces pièces seront arrangées pour orchestres. C’est le cas pour Salomé et Ophélie, rejointes par Cléopâtre dans Le rêve de Cléopâtre.