Bayreuth 2019 : quand l’image domine...

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En attendant un nouveau Ring des Nibelungen prévu pour 2020, confié à Valentin Schwarz (mise en scène) et Pietari Inkinen (direction musicale), le festival de Bayreuth offre cette année une nouvelle production de Tannhäuser et des reprises de Lohengrin, Die Meistersinger von NürnbergParsifal et Tristan und Isolde.

La production de Tannhäuser dans la version de Dresde a été confiée au jeune metteur en scène allemand Tobias Kratzer dont la Monnaie a présenté la version de Lucio Silla de Mozart. Grâce à Kratzer, assisté de Rainer Sellmaier (décor et costumes), Manuel Braun (vidéo) et Reinhard Traub (lumières), le festival de Bayreuth a rejoint la liste des maisons d’opéra où l’on ne peut plus simplement écouter et admirer une ouverture sans être confronté à des images vidéo. Ici, nous sommes submergés d’images du paysage de Thuringe traversé par une vieille camionnette Citroën au bord de laquelle se trouvent Venus (justaucorps étincelant), Tannhäuser (ressemblant un clown de MacDonalds) le nain Oskar (référence à l’héros du Tambour de Gunther Grass) et Gateau (sic) Chocolat (un artiste travesti noir). Nous retrouvons la camionnette « en vrai » sur la scène où elle s’arrête pour coller des affiches qui proclament « Libre dans vos décisions, libre en acte, libre en jouissance », des slogans écrits par Wagner en 1849. Quand Vénus écrase un vigile qui veut les empêcher de partir sans payer, c’en est trop pour Tannhäuser qui quitte Vénus et se retrouve, avec nous, devant le Festspielhaus Bayreuth où se rendent les « pèlerins » et où il est découvert par ses amis d’autrefois, habillés en chevaliers mediévaux. Elizabeth fait une courte apparition et gifle Tannhäuser. Fin du premier acte ! Le second nous montre une salle du Wartburg bien traditionnelle où se tient le concours et en même temps, en vidéo, ce qui se passe dans les coulisses. Grâce à une échelle appuyée contre le balcon du Festspielhaus (point d’attraction du public pendant l’entracte) la bande de Vénus s’introduit dans le théâtre. Venus se déguise en « Edelknaben » et est témoin de l’action sans vraiment pouvoir participer à celle-ci, ni à la confusion générale où apparaissent aussi Oskar et Gateau Chocolat. Au troisième acte, nous retrouvons la camionnette délabrée où Oskar offre à Elisabeth de partager son simple repas. Les pèlerins qui repartent sont des migrants. Wolfram tente de consoler Elisabeth et se déguise (mal) en Tannhäuser avant de coucher avec Elisabeth dans la camionnette. A son retour, Tannhäuser ne veut plus faire partie du monde de Venus, retrouve Elisabeth morte, ensanglantée. Pas de rédemption pour lui, ni apparemment pour les migrants. 

Wolfgang Wagner (30/8/1919 – 21/3 /2010) dont on a commémoré le 100e anniversaire cette année, aimait d’appeler Bayreuth une « Werkstatt », un atelier. On peut se demander jusqu’où cela laisse place aux expériences plus ou moins réussies qui, finalement, ne servent pas l’œuvre ou, pire encore, la déforment. Heureusement, on ne touche pas (encore !) à la musique défendue par un orchestre chevronné, confié ce jour-là aux mains sûres de Christian Thielemann qui remplaçait Valery Gergiev, empêché par un deuil familial. Thielemann. Il nous a régalés de grandes envolées lyriques et de moments dramatiques poignants, faisant sonner l’orchestre superbement et réalisant un cohésion parfaite entre fosse et scène même si les images, créés par Kratzer et son équipe, nous racontent autre chose. La distribution est d’un haut niveau, à commencer par Stephen Gould qui campe un Tannhäuser impressionnant de sa voix d’airain qui soutient la partie vocale sans problèmes de bout en bout. En même temps, il offre de belles nuances et parvient nous émouvoir, même dans son costume ridicule. La jeune soprano norvégienne Lise Davidsen donne fraicheur, spontanéité et émotion à Elisabeth ainsi qu’une voix ample et homogène et d’un beau métal. J’ai été moins convaincue par la Vénus de Elena Zhidkova, se jetant corps et âme dans l’interprétation du rôle voulue par Kratzer et chantant d’une voix au timbre clair mais manquant souvent de force. Cela n’est pas le cas pour Markus Eiche qui nous propose un Wolfram assez réservé mais bien chanté d’une voix de baryton homogène et bien projetée. Stephen Milling donne autorité et voix sonore au Landgraf Hermann. Daniel Behle prête son ténor lumineux à Walther von der Vogelweide et Katharina Konradi son soprano frais au Junger Hirt, ici une jeune fille à bicyclette. Les autres rôles sont bien tenus et les chœurs de Bayreuth, préparés par Eberhard Friedrich, font honneur à leur juste renommée.

Pour Lohengrin, il s’agit d’une reprise de la production de 2018 dans une mise en scène de Yuval Sharon, des décors et costumes de Neo Rauch et Rosa Loy, lumières de Reinhard Traub et, heureusement, pas d’images pendant le prélude : nous pouvons écouter la musique, superbement jouée par l’orchestre des Festspiele dirigé par Christian Thielemann qui, tout au long du spectacle, tient la tension et l’émotion. Et pas seulement dans les grands moments ! Il y a la poésie et la force dramatique, le soin des nuances et l’accord parfait avec la scène. Je ne vois pas clairement où Sharon veut en venir avec sa mise en scène à cheval sur le passé et l’avenir, les foules sorties d’anciennes peintures et où le peuple du Brabant fait plutôt penser à des paysannes hollandaises, un Lohengrin bleuâtre sans cygne mais à  l’allure de cosmonaute, tout cela dans un monde de lumières bleues et de transformateurs haute tension où on maltraite les femmes et où Gottfried, le jeune duc de Brabant est un petit homme « écologique » tout de vert habillé ! Pour cette représentation, Anna Netrebko et Piotr Beczala étaient annoncés en Elsa et Lohengrin, des rôles qu’ils avaient déjà défendus à Dresde. Si Netrebko a annulé, Beczala était heureusement là pour nous offrir une interprétation sublime du rôle de sa voix lumineuse, son admirable projection du texte, son style élégant et sa noble prestance. Pas étonnant que le public lui ait réservé une ovation. Annette Dasch remplaçait Netrebko en Elsa, rôle qu’elle a déjà interprété à Bayreuth et qu’elle chante avec ses moyens, moins luxueux, mais en interprète expressive et touchante. Elle a une rivale redoutable en l’Ortrud d’Elena Pankratova, pleine d’allure et projetant une voix impressionnante. Tomas Konieczny campe un Telramund brutal d’une voix assez rude mais le König Heinrich de Georg Zeppenfeld est d’une grande noblesse vocale et d’une belle autorité. Egils Silins proclame ses messages de hérault avec force . Bon travail d’ensemble des petits rôles.

Erna Metdepenninghen

Bayreuth, les 13 et 14 août 2019

Crédits photographiques : Enrico Nawrath

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