Bells - la touche éclectique d’Anthony Romaniuk

par

Béla Bartók (1881-1945), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Claude Debussy (1862-1918), György Ligeti (1923-2006) William Byrd (1539-1623) George Crumb (*1929), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Federico Mompou (1893-1987), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Chick Corea (*1941), Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Anonyme (c. 1300, Flandre), Henry Purcell (1659-1695), Dmitri Shostakovich (1906-1975). Anthony Romaniuk; piano, pianoforte, clavecin et Fender Rhodes. Avril 2019 - 77'49’’ - livret en anglais et français - CD – Alpha Classics/Outhere Music - ALPHA631.

Hi. I’m Anthony Romaniuk, I’m a pianist, and I made an album. Voilà la simplicité avec laquelle le claviériste australien débute sa vidéo de promotion pour son premier album solo, Bells. Cela fait 10 ans qu’il réfléchit à ce projet : le temps, dit-il, de se consacrer à la quête de sens musical et de laisser mûrir ses idées. Le résultat : une constellation intrigante de petites perles musicales, dressant un portrait sincère de son identité artistique à ce stade dans son parcours varié.

Véritable polyglotte musical, Romaniuk transcende les frontières de sa formation en piano classique avec non seulement une spécialisation en musique ancienne mais aussi beaucoup d’expérience dans l’improvisation, le jazz, le rock indépendant et la musique électronique. En claviériste littéralement touche à tout, il a choisi de s’exprimer à travers les timbres du clavecin, du pianoforte, du piano moderne et du piano électrique Fender Rhodes. Qui dit claviers variés dit aussi styles musicaux variés. On passe de Byrd à Crumb, de Mompou à Mozart, de Rameau à Ligeti… J’écoute de la musique électronique et ça influence ma façon d’aborder Bach. J’écoute du hip hop, et ça se sent quand je joue du Debussy. Cet éclectisme est aujourd’hui inscrit dans mon ADN de musicien.

On pourrait croire à un méli-mélo chaotique de styles. Cependant, un magnifique fil rouge traverse toutes ces œuvres : chacune comporte une forme de bourdon ou de pédale harmonique importante. Anthony Romaniuk souligne le caractère transculturel et intemporel de ce procédé de composition, présent tant dans la musique classique indienne que dans les power chords du hard rock ou les musiques traditionnelles populaires, et bien sûr à travers des siècles de musique savante occidentale. La quasi-omniprésence de bourdons, pédales ou autres basses obstinées en quintes (on s’en éloigne quand même par moments) est tout sauf monotone, car chaque nouvelle piste nous fait faire un bond dans le temps et nous transporte vers un paysage sonore complètement nouveau. Chaque morceau s’apprécie donc tout aussi bien dans son individualité que dans la continuité du programme. Le livret offre, cerise sur le gâteau, de courts textes de présentations accrocheurs qui donnent juste ce qu’il faut pour accompagner l’auditeur dans sa découverte.

Parfois, le choix de timbre est très logique (clavecin pour Rameau, pianoforte pour Beethoven, Rhodes pour Chick Corea…). La sonorité sans doute la plus inhabituelle -et d’ailleurs de laquelle naquit l’idée du thème pour cet album- est celle des accords de quinte à vide grattés à la main sur les cordes du piano dans Twin Suns de George Crumb. Bells est également truffé de petites transgressions aux règles : Bach se met presque à swinguer sur le clavier Rhodes ! La note tenue de la fameuse Fantasia upon One Note de Purcell est judicieusement déléguée à un archet électronique, posée sur une des cordes du piano pour un caractère encore plus planant. Une Danse Roumaine de Bartók prend soudain une couleur encore plus folk au pianoforte... Toutes sortes de petites touches d’extravagance qui surprennent sans jamais trahir l’essence de l’œuvre. Anthony Romaniuk préconise une rébellion artistique intelligente : C’est bien beau de vouloir briser les règles. Avant toute chose, il faut savoir quelles sont les règles que l’on transgresse.

Il faut bien sûr saluer l’agilité et la souplesse du jeu d’Anthony Romaniuk à travers tous ces claviers et tous ces styles. Et l’indépendance des mains dans la Musica Ricercata de Ligeti marquera sûrement les esprits des pianistes amateurs. L’album met aussi en lumière ses qualités d’improvisateur et d’arrangeur : trois pièces du répertoire son agrémentées de préludes improvisés (Rameau, Mozart et Chostakovitch), Romaniuk laisse libre cours à son imagination dans Kora ainsi que sur le thème de Der Leiermann (Schubert). Et, sans doute la plus belle perle de ce programme, il nous offre un arrangement moderne d’une mélodie anonyme du Moyen-Age interprétée au Rhodes avec une douceur ineffable.

Par-dessus toutes les questions de technique instrumentale ou d’originalité du programme, il faut aussi simplement noter qu’Anthony Romaniuk est un musicien qui s’amuse quand il joue.  Vous trouverez peut-être comme moi qu’il y a quelque chose de rassurant dans tous ces bourdons et ces pédales, quelque chose qui nous ancre dans le sol et fixe notre attention. Couplez cela au plaisir espiègle du jeu et au zigzag imprévisible du programme : je vous garantis que Bells dessinera un sourire sur vos lèvres.

Son: 9 – Livret: 10 - Répertoire: 10 - Interprétation: 10

Aline Giaux

 

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