Brillants débuts de Joshua Weilerstein à la direction musicale de l’Orchestre national de Lille
En ce début de la saison, l’Orchestre national de Lille ouvre une nouvelle ère avec le jeune chef américain Joshua Weilerstein, fraîchement nommé au poste de directeur musical en succédant Alexandre Bloch. Dans les premiers concerts de son mandat, il marque d’emblée son empreinte, en dirigeant le Concerto n° 2 de Liszt avec Alexandre Kantorow et la 5e Symphonie de Mahler.
Dans la première partie, Alexandre Kantorow incarne l’esprit de Liszt. Son jeu combine éclat et lyrisme, notamment dans des passages étincelants de petites notes rapides qui filent comme des flèches. Dans un duo presque intime avec le violoncelle solo, ils tissent ensemble une berceuse délicate, portée par des cordes discrètes mais envoûtantes. En guise de bis, Kantorow offre une saisissante interprétation de Der Müller und der Bach, extrait de La Belle Meunière de Schubert, empreinte de poésie mélancolique laissant transparaître le désespoir violent du héros.
Les mélomanes sont plongés dans une véritable forêt mahlérienne en ce mois de septembre, avec plusieurs orchestres de renom qui explorent les œuvres du compositeur viennois. L’Orchestre de Paris a ouvert le bal avec sa Première Symphonie sous la baguette de Klaus Mäkelä, suivi de la Troisième par l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Jukka-Pekka Saraste. À Toulouse, c’est la Deuxième Symphonie qui a été dirigée par Tarmo Peltokoski, L’Ensemble Intercontemporain a donné en création mondiale une Quatrième Symphonie vue par Michael Jarrell. À Monte Carlo aussi, Kazuki Yamada a pris les rênes de la Troisième. Face à cette profusion, Joshua Weilerstein réussit à imposer une lecture saisissante de la Cinquième Symphonie de Mahler, qui marque les esprits.
Dès le Deuxième Concerto de Liszt, on sentait déjà que Weilerstein « fait de la musique » avec les musiciens, partageant avec eux une complicité rare, d’égal à égal. Mais c'est dans Mahler que cette communion prend toute son ampleur.
Sans partition, sa baguette connaît toutes les gestuelles pour « conter » les états d’âme qui traversent l’œuvre. Weilerstein parvient à faire émerger de l’orchestre une douceur inhabituelle pour Mahler, même dans les moments les plus sombres, comme la marche funèbre qui ouvre la partition. Les passages les plus puissants en tutti, souvent interprétés avec une vigueur imposante voire tonnante, sont ici empreints de nuances délicates, tout en gardant la fermeté qui se mêle à une réelle sensibilité. Chaque épisode, jusqu’aux plus brefs, est ciselé avec rigueur, mais toujours ouvert à de nouveaux horizons, ce qui évite tout sentiment de fatalité. Sous sa baguette, le désespoir de Mahler devient plus une réflexion qu'une résignation.
Autre qualité notable : la manière dont Weilerstein traite les motifs musicaux. Les phrases s’enchaînent telles des séquences cinématographiques ; chaque événement apporte un caractère et une émotion qui lui sont propres, mais ils forment ensemble une fresque prodigieuse. Mention spéciale au cor solo, dont le beau son et l’étonnante homogénéité participe à créer cette magnifique tapisserie sonore mahlérienne monumentale.
En dehors de la scène, Weilerstein est également le créateur du podcast Sticky Notes, dans lequel il décortique des œuvres et partage des réflexions sur la musique avec un large public. Cette capacité à vulgariser le répertoire se reflète lors du concert, lorsqu’il prend la parole au début de la deuxième partie pour offrir quelques clés d’écoute. Il s'adresse alors au public, rappelant que ceux qui entendent pour la première fois la Cinquième Symphonie de Mahler sont particulièrement chanceux, car ils ont une chance inouïe de découvrir ce un joyau orchestral !
Joshua Weilerstein marque le début de son mandat avec brio, offrant une interprétation aussi fine que grandiose, et promet d’ouvrir un nouveau chapitre passionnant à la tête de l’Orchestre National de Lille.
Photo © Ugo Pontet-ONL