Quintettes de Boccherini par La Ritirata : une plaisante réjouissance
Fandango. Luigi Boccherini (1743-1805) : Quintette à cordes n° 73 en si bémol majeur op. 39 n° 1, G 337, « pour deux violons, alto, violoncelle et contrebasse obligée » ; n° 77 en ré majeur, op. 40 n° 2, G 341 « Fandango » ; n° 12 en ré majeur op. 11 n° 6, G 276 « L’Uccelliera » ; n° 60 en do majeur, op. 30 n° 6, G 324 « Musica notturna delle strade di Madrid ». La Ritirata, direction Josetxu Obregón. 2023. Notice en anglais, en français, en allemand et en espagnol. 58’ 35’’. Glossa GCD 923110.
Originaire de la cité toscane de Lucques, où sont nés également Geminiani, Catalani et Puccini, Luigi Boccherini connaît le succès dès l’adolescence, notamment à Vienne, où il fait plusieurs séjours entre 1757 et 1764. Mais après un retour dans sa ville natale et un séjour à Paris, il se fixe à Madrid à partir de 1768 et va accomplir le reste de sa carrière à la cour locale, bénéficiant même, en fin de vie, de la protection de Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon. Une carrière féconde, sinon prolifique dans le domaine de la musique de chambre. Son catalogue comprend d’innombrables partitions dans le domaine, dont un riche corpus de quintettes à cordes qui dépasse très largement la centaine de numéros. Les instrumentistes de La Ritirata, fondée par le violoncelliste Josetxu Obregón, né à Bilbao en 1979, comptent à leur actif, sous sa direction artistique, plusieurs albums consacrés à des pages de Boccherini pour les labels Verso (2008), Columna Música (2010/11), et, déjà, Glossa en 2015, dans un programme consacré au violoncelle en Espagne au XVIIIe siècle. À l’affiche d’aujourd’hui, toujours pour Glossa, quatre partitions sont proposées, entre charme, raffinement et élégance, dont le n° 60, qui évoque la vie musicale nocturne de Madrid. Son dernier mouvement, intitulé La Ritirata, est à l’origine du nom de l’ensemble d’Obregón.
La notice rappelle qu’on a souvent rapproché le style de Boccherini, qui hispanisa son nom en Luis Boquerini pour faire couleur locale, à celui de Haydn, mais avec l’apport de références folkloriques espagnoles et de danses comme le fandango, la folia ou la séguedille. Les deux premiers quintettes ici proposés datent de 1787 (n° 73) et de 1788 (n° 77). Avant de s’attarder à cette forme, Boccherini s’était fait largement la main sur l’alchimie entre les instruments à cordes en petite formation : il avait inscrit à son catalogue près d’une centaine de quatuors ! Ces deux partitions confirment son aisance à harmoniser les sonorités, souvent chaudes et colorées, mais aussi suaves et gracieuses. La contrebasse obligée du n° 73 est sans doute la conséquence de la présence de solistes de qualité au sein de la cour qu’il fréquentait, mais aussi du souvenir de son père, qui en jouait. Dans le n° 77, Boccherini introduit une danse populaire rythmée et entraînante, le fandango (choix du titre de l’album), et un accompagnement de castagnettes qui confère à l’ensemble une atmosphère pittoresque.
Ce pittoresque se concrétise encore plus dans les deux quintettes qui suivent et portent des surnoms. Le G 276, intitulé L’Uccelliera (La Volière) installe l’auditeur dans un univers occupé par les oiseaux. Composé en 1771, il fait référence au palais, garni de grandes cages où s’ébattaient rossignols, chardonnerets et autres volatiles, de l’infant don Luis de Bordón, frère du roi Charles III, à Boadilla del Monte. Les deux violons usent de doubles croches et de trilles pour évoquer les gazouillis, les babillages, les bruissements, vivifiant ce quintette au sein duquel l’alto et le violoncelle usent de balancements déhanchés. Cette musique illustrative confirme un goût du temps qui trouvera ses prolongements jusqu’au XXe siècle. Un autre climat descriptif envahit le G 324 de 1780, composé à Avila, qui met à l’honneur la Musique nocturne des rues de Madrid. Un Ave Maria initial se souvient des cloches paroissiales, avant des tableaux où figurent les tambours des soldats, les chants des mendiants, un pensif rosaire ou les divertissements dans les artères de la cité madrilène, avant la ritirata (le retrait des troupes dans leur campement), inspirée d’une marche de Manuel Espinosa de los Monteros (1730-1810), hautboïste et compositeur à la cour de Charles III. On savoure l’art avec lequel Boccherini crée une ambiance qui envoûte et enchante à la fois, les instruments, contrebasse comprise, proposant un récit musical très subtil.
Ce bel album, gravé dans la commune de Las Rozas de Madrid en octobre 2023, est servi par une prise de son équilibrée. L’ensemble La Ritirata allie inventivité, fraîcheur, suavité, homogénéité et écoute mutuelle pour animer ce parcours de choix, qui incite à découvrir d’autres pages pour cordes de Boccherini, vrai champion de son époque pour la musique de chambre.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix