Capriccio Appassionato par Aurelia Vişovan

par

Franz Schubert (1797-1828):  Sonate n°19 en Ut mineur, D 958 ;  Carl Czerny (1791-1857): Sonata nº 6 en Ré mineur, Grande sonate pour le pianoforte seul,  op. 124.  Aurelia Vişovan, pianoforte. S021. Livret en anglais, français et allemand. TT, 81’ 45. Passacaille PAS 1121

Aurelia Vişovan, pianofortiste, mais aussi claveciniste et pianiste “moderne”, s’est fait connaître en Belgique en remportant en 2019 le Concours de Bruges. Dans la génération des Leonhardt ou Kuijken, il était de bon ton qu’un instrumentiste “historiciste” ne se produise pas en public avec les instruments conventionnels. La jeune génération en revanche, fait fi de ce genre d’interdit pour ne pas se priver d’avoir recours à toute une gamme de sonorités que de plus en plus de facteurs et restaurateurs mettent à leur disposition. La qualité des instruments “anciens” dont dispose aujourd’hui un musicien s’améliore de jour en jour. En l’occurrence, Vişovan joue un somptueux fortepiano construit par Robert Brown (formé, entre autres, auprès de Patrick Collon et de Christopher Clarke) d’après un original viennois de 1815 fait par Jakob Bertsche. Les marteaux recouverts de cuir ou les divers registres facilitent la possibilité de souligner le caractère dramatique si typique du pianisme du début XIXe, tout en apportant la douceur indispensable au pianissimo et aux nuances subtiles, avec une palette sonore presque interminable, dépassant en coloris celles d’un piano dit “moderne” même si les derniers brevets essentiels à sa facture remontent bien à la fin du XIXe siècle, le piano de concert n’ayant que très peu évolué depuis. Ici, le médium est chaleureux, le grave transparent et lumineux et l’aigu bien trempé, plus brillant que d’habitude sur le fortepiano. Pourtant… ce n’est pas moins agréable d’écouter Vişovan sur un Steinway moderne interpréter Scriabine ou Ravel. La monumentale Sonate en Ut mineur de Schubert est un défi de taille pour un jeune musicien, tellement de grands pianistes ayant gravé leur empreinte émotionnelle au fer rouge…  Mais Vişovan possède un talent de premier ordre : imagination sonore intarissable, dextérité manuelle et virtuosité étincelantes, une approche du cantabile tout à fait enchanteresse et émouvante, un phrasé extrêmement bien structuré et souple. Vous ne regretterez pas Brendel pendant l’écoute, tellement elle nous tient en haleine en permanence. Bien sûr, si vous voulez une introspection sur les lacérations de l’âme tourmentée de Franz Schubert, alors oui, il faudra revenir à Brendel. Car ici c’est frais, primesautier, fruité et plus souriant que troublé. Mais tout ça… c’est aussi Schubert !

Le deuxième volet de ce magnifique CD, que je vous conseillerai d’écouter en deux étapes, tellement chacune des deux œuvres grandioses est un monde en soi. Car la 6e Sonate de Carl Czerny, écrite peu après le décès de son maître Beethoven, outre certaines parentés thématiques avec Schubert, n’est pas sans rappeler la majestueuse Sonate op. 106 (Hammerklavier) du maître de Bonn. C’est bien connu : la forêt des quelques six-cents études du pédagogue de Liszt ou de Thalberg a caché le talent d’un compositeur de première classe et l’immense valeur d’une œuvre qui se retrouve ici enregistrée pour la première fois sur un instrument d’époque. Comme il ne pouvait pas être autrement, c’est de la virtuosité de haute voltige, Czerny trouvant des possibilités d’exécution transcendante qui traceront le sillon de celles qu’exploitera plus tard le jeune Liszt. Et le bonheur qu’expriment les doigts agiles et précis de Vişovan trouve ici une composition parfaitement à leur mesure. Le livret n’inclut pas d’informations ou commentaires sur les pièces mais seulement une entrevue plus qu’intéressante où la pianiste nous parle des deux pièces, faisant preuve d’une clarté de pensée et d’une sensibilité hors du commun. Le label belge Passacaille est le fruit des coups de cœur du flûtiste Jan de Winne et n’a pas de prétentions encyclopédiques. Mais presque à chaque fois, il publie des incontournables. Celui-ci est indispensable pour qui s’intéresse un minimum à l’histoire du piano car pratiquement seul Horowitz jouait volontiers en concert quelques pièces de Carl Czerny, comme les Variations sur “La Ricordanza”. Celles sur le « Choral de Bohème » qui constituent le noyau de cette sonate, sont d’une beauté fascinante, tout comme le « Capriccio Appassionato » qui donne le titre à ce très beau CD.

Son: 8 – Livret : 10 – Répertoire: 10 – Interprétation: 10

Xavier Rivera

 

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