Cardinale anthologie pour carillon sur deux célèbres instruments de la Fonderie Paccard

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Portées par le vent. Œuvres de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Matthias Van den Gheyn (1721-1785), Georges Bizet (1838-1875), Francisco Tárrega (1852-1909), Érik Satie (1866-1925), Heitor Villa-Lobos (1887-1959), Léon Henry (1888-1955), Staf Nees (1901-1965), Dimitri Chostakovitch (1906-1975), Jacques Lannoy (1931-2022), Robert Byrnes (1949-2004), Philippe Quattroccolo (*), Gabriel Marghieri (*), Loïc Mallié (*). Adrien Parret, carillon. 2024. Livret en français, anglais. 79’54’’. Hortus 236

Sur une idée de Vincent Genvrin, ce projet réunit deux emblématiques carillons de notre voisine nation, issus de la prestigieuse Fonderie Paccard, et jouissant d’une notoriété mondiale. Sous l’œil de la Madone du Mas Rillier, plus haute statue de France, se dresse un ensemble de cloches initialement destiné à l’Exposition du Progrès Social qui se tenait à Lille en 1939. Après la Libération, elles furent suspendues à Miribel, à une dizaine de kilomètres de Lyon, non dans un lieu de culte préexistant mais dans un campanile spécialement construit. La mécanique dans son jus en est réputée difficile à manœuvrer –sans démériter, l’exécution entendue dans cet enregistrement s’en ressent, avouons-le. En revanche, l’innovante transmission en fibre de carbone installée en 1993 pour le château des Ducs de Savoie à Chambéry facilite un jeu virtuose, ouvert à tous les répertoires par son ambitus de six octaves.

Chaque carillon a été capté dans une perspective différente : de plein air avec bruits ambiants (un biotope parfois un peu intrusif…) sur l’esplanade de Miribel, et dans la tour-même pour Chambéry, moyennant artefact de numérisation pour pallier le volume sonore qu’on imagine assourdissant in situ. Pour chacun de ces deux sites, le programme fait entendre une anthologie de pièces conçues pour l’instrument ou transcrites à son intention, présentées dans l’ordre chronologique, du Baroque à nos jours. Outre leur fonction liturgique et leur répertoire propre, les orgues permirent de diffuser un large fonds d’emprunt. Similairement, à l’entour des églises et beffrois disséminés sur les territoires, le carillon contribua à vulgariser des œuvres orchestrales ou lyriques.

Au Mas Rillier, on entendra ainsi l’Entrée de Polymnie tirée de l’Acte IV des Boréades, dont le calme contrepoint s’égrène placidement. Bonne idée de placer en début de récital cette évocation de la muse de la rhétorique, inspiratrice des aèdes. Autre transfuge de l’univers opératique : la célèbre romance de Nadir extraite des Pêcheurs de perles de Bizet, qui ne retrouve toutefois guère la poignante vocalisation de l’original. Par sa polyphonie intrinsèquement limitée aux deux mains, et son mode d’émission né du pincement des cordes, la guitare se prête volontiers aux battants et à la résonnance idiophone : on le vérifiera dans le Capricho arabe de Tarrega et une Étude de Villa-Lobos.

Les autres pages convient un éventaire spécifique au carillon. Cap au nord avec un des onze Préludes de Van den Gheyn, rappelant la tradition flamande, berceau de la facture. Une Gavotte Pastorale de Léon Henry précède la Suite française de Jacques Lannoy qui aligne d’anciennes chansons de terroirs. Une toute autre longitude avec On the San Antonio River de Robert Byrnes, bien connue des interprètes d’Outre-Atlantique. Une volée abattue vers le hameau conclura le CD.

Bach introduit le florilège joué à Chambéry sur le plus grand carillon d’Europe (70 cloches, 33 tonnes) : sa Sicilienne BWV 1031 se prolonge idéalement dans l’ondoiement rêveur et étrange d’un autre Prélude de Van den Gheyn, qui montre à quel point le Louvaniste avait percé les secrets harmoniques de son instrument. Tout autant que Rythmendans et Fantasia 1 de Staf Nees, postérieur représentant de l’école belge, dont les procédés suscitent une dramatisation des plus idiomatiques, entre romantisme et impressionnisme. Popularisée par un spot publicitaire et un disque de Riccardo Chailly dans les années 1990, la mélodieuse Valse de Chostakovitch n’a aucune peine à émouvoir avec son crescendo, sa reprise tintinnabulante : encore faut-il que le suave legato entonné par le saxophone passe la rampe vers la percussion inhérente au clavier, ce qu’Adrien Parret réussit ici en articulant avec poésie. C’est sans doute plus aisé de traduire la lancinante rengaine de la première Gnossienne de Satie, qui déambule ici comme un intrigant cortège.

Chacun des deux volets converge vers des créations contemporaines, qui reçoivent leur baptême sous les micros. Exploitant la structure de tons partiels rayonnant en différents points de la cloche, mais aussi les modes à transposition limitée chers à son maître Messiaen, Loïc Mallié nous embarque dans une sorte de gamelan qui s’ancre dans le ravalement sous la première octave de la chapelle savoyarde. Au pèlerinage de la Vierge, on aura découvert Rétromorphose 1 de Philippe Quattroccolo, qui a aussi assuré la prise de son. Puis, dédié à Adrien Parret, titulaire en ce beffroi, le bref Angelus de Gabriel Marghieri : un hommage aux sonneries ritualisées qui rythmaient la vie et le labeur des fidèles, émanées de cloches qui selon les mots du compositeur « sont l’écho d’un monde qui bientôt n’existera plus, puisque devenues rares, en ville ou à la campagne ».

En espérant que l’avenir conjure cette amère prophétie, grâce à une relève de jeunes passionnés aux quatre coins de France, comme Thomas Roeland, Baptiste Seigné, Eliott Housieaux, ou Milo Brutus. On n’hésitera pas à saluer et conseiller ce copieux album, parfait avocat d’une initiation. Sa valeur interprétative et ses multiples atouts (choix des instruments, d’un répertoire éclectique, valorisé dans un instructif livret) rejoignent avec honneur la trop maigre discographie consacrée à l’art campanaire.

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire & Interprétation : 9,5

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