Castor et Pollux, pâles zombies aux Champs Elysées

par

© Vincent Pontet

Contrainte, rigueur, abstraction, rituel..: le programme donne le ton. Rameau est-il donc si «difficile» aux yeux du chef Hervé Niquet et du metteur en scène Christian Schiaretti (flanqué d'un dramaturge, Florent Siaud) qu'il faille le prendre avec des pincettes ? Tous ont cédé à une sorte de crainte révérencielle en faisant de ce "Castor et Pollux" un monument figé parce qu' ils n'en avaient pas –en dépit de leurs connaissances et de leur expérience- l’accès. Ce «Rituel» leur a semblé -même à eux!- tellement inerte qu'ils ont compté sur les ballets pour compenser. Fatale erreur dont les malheureux danseurs hués à la Première ne sont évidemment pas responsables. Au contraire, on admire leur souplesse, leur endurance, leur technique mais on les plaint! Manifestement le chorégraphe grec Andonis Foniadakis a travaillé tout seul de son côté avec l'idée d'évoquer les muses néo-antiques de Maurice Denis qui batifolent sur les fresques du Théâtre de Perret, berceau des créations de Stravinsky. Mais, à quoi bon tant de courses, de brassages vigoureux, renversements de tête et fesses en l'air avec nombreuses reptations -même si les danseurs miment les «femmes-serpents» du musicien philosophe? La frénésie répétitive surprend puis insupporte. En vient même à gâcher les plus délicieuses musettes et tambourins que l'on tente de savourer à l'orchestre. Hervé Niquet a été obnubilé par une idée curieuse: la nécessité qu'avait -selon lui- Rameau d'adopter des pulsations en fonction de la durée de l'éclairage aux bougies. Alors, l'orchestre prend le mors aux dents gommant la souplesse et la liberté de cette musique. Pourtant, le bâtiment de l'avenue Montaigne (qui sert aussi de «décor dans le décor» avec un résultat redondant voire calamiteux lorsque le lustre bascule sur scène avec Jupiter à bord) bénéficiait bien dès 1913 d'un éclairage à l'électricité... mais on n'est pas à une contradiction près et l'art baroque a déjà servi de prétexte à bien d'autres fantaisies. Les chanteurs avancent et reculent sans se regarder tels des statues. Castor (John Tessier) semble bien frêle tandis que la fréquentation d'un répertoire trop spécialisé met à l'épreuve la belle texture de la voix d'Edwin Crossley Mercier engoncé dans sa cuirasse (Pollux). Les sœurs ne sont guère mieux appareillées: ravissante d'apparence et de voix (quoique modeste d'envergure et faisant un peu penser à Barbara Hendricks), Omo Bello ne correspond guère à la vocalité, la diction et le profil du personnage de Télaïre tandis que Michèle Losier, à la belle projection, reste caricaturale et peu compréhensible. Seul Rainoud van Mechelen est en adéquation avec son air de bravoure «Eclatez, fières trompettes!» ajouté à la version de 1754, version d'ailleurs adoptée également à Lille et Dijon, et resserrée par Rameau pour complaire à ses contemporains. Heureux temps où les compositeurs redoutaient «la chose la plus immorale qui soit au Monde -selon Debussy- l'Ennui!».
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Théâtre des Champs Elysées, le 13 octobre 2014

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