Les couleurs de l'ONL

par

Maurice Ravel (1875-1937) : Alborada del gracioso – Concerto en sol
Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’après-midi d’un faune
Igor Stravinsky (1882-1971) : Petrouchka (version 1911)
Orchestre National de Lille, Eivind Gullberg Jensen – Louis Lortie, piano

On s'était fait à l'idée que Ravel, homme précis et sérieux, devait être interprété avec une froide rigueur. Dès les premières notes, l'ONL démonte ce préjugé : la lecture qu'ils en font est profondément humaine. Le jeune chef norvégien Eivind Gullberg Jensen joue la carte des contrastes, poussant les nuances à l'extrême, n'hésitant pas à prendre des libertés sur le tempo, sans jamais se départir de son élégance. L'Alborada del gracioso, qui ouvre le concert, est justement une œuvre contrastée ; aubade d'un bouffon espagnol qui tente de chanter son amour, elle oscille entre burlesque et désespoir. Puis le Prélude à l’après-midi d’un faune laisse s'épanouir l'extraordinaire richesse de timbres que contient l'orchestre : les cordes, menées par l'archet charismatique de Fernand Iaciu, ont des sonorités boisées, complétées par celles des vents, fluides. Ces qualités se confirment dans un Concerto en sol qui ne renie pas sa parenté avec le jazz. Le pianiste Louis Lortie, qui avoue une passion pour Gershwin, ne craint pas de prendre cette musique à bras le corps, livrant un Ravel tellurique et réfléchi, créant même, dans le second mouvement, de ces rares moments où le temps se suspend à chaque note... En deuxième partie de concert, Petrouchka est abordé avec originalité, on y trouve de belles couleurs même si l'on aurait attendu du chef un peu plus de précision rythmique. Cependant, on se représente sans effort l'histoire de marionnettes dont il est question : l'ONL est assurément, avec Les Musiciens du Louvre, l'un des seuls orchestres actuels à manier si bien les pouvoirs de l'imagination.
Quentin Mourier
Bruxelles, Bozar, le 17 octobre 2014   

Le même concert était donné deux jours plus tôt au Nouveau-Siècle de Lille ; voir l'article Jensen à Lille par Ayrton Desimpelaere.

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