Ce que Bach n’écrivit jamais pour flûte à bec et clavecin… poétisé par un sage duo
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Sonate pour traverso en fa majeur BWV 1035. Andante de la Sonate pour violon en si mineur BWV 1014. Sonate en trio no 3 en mi mineur BWV 527. Chaconne de la Partita pour violon no 2 en sol mineur BWV 1004. Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659. Suite pour Lautenwerk en ré mineur BWV 997. Largo de la Sonate pour violon en do mineur BWV 1017. Julien Martin, flûte à bec. Olivier Fortin, clavecin. Livret en français, anglais, allemand. Novembre 2001. TT 69’14. Alpha 939
À la différence de G.F. Haendel, et bien qu’il honorât l’instrument à multiples reprises dans ses cantates ou dans le quatrième des célèbres Concerto brandebourgeois, on ne connaît à Johann Sebastian Bach aucune sonate pour flûte à bec, ni en solo ni en duo. Ce qui ne dissuade pas les interprètes gourmands de recourir à un répertoire d’emprunt, suivant une tradition de transversalité courante à l’époque baroque et que le Cantor pratiqua lui-même. Parmi la récente discographie, on mentionnera par exemple l’album de Stefano Bagliano et Andrea Coen paru chez le label Brilliant.
Outre la sonate pour flûte traversière qui, en tant que conçue pour un instrument à vent peut sembler la plus légitimement transférable, les deux interprètes ont puisé au catalogue pour violon (deux extraits des Sonates BWV 1014 et 1017), pour orgue (la complète Triosonate en mi mineur) et même pour le clavier du Lautenwerk (le BWV 997 qu’on associe surtout au luth). Des œuvres « pour lesquelles nous partageons une profonde connivence artistique et qui nous accompagnent depuis de nombreuses années » indiquent-ils en exergue du livret.
On pourrait certes gloser sur la compatibilité d’idiome entre les versions originales et leur adaptation. Se demander notamment si la friction de l’archet sur les cordes ne nous laisse ici orphelin d’une émotion qui ne communique pas le même frisson quand il veut se transmettre par le souffle. Voire par le clavecin, dans la mesure où au cœur de cette anthologie, Olivier Fortin nous offre la sublime Chaconne transcrite par Pierre Gouin. Globalement, au long de ce CD, nul vain brio ne vient compromettre ces lectures, qu’aucun Allegro ne saura exhiber, qu’aucun Vivace ne saura dévergonder. Souhaiterait-on parfois moins de bienséance, moins de philosophie ?
En tout cas, la science et la sensibilité du tandem nous soustraient à la tentation de s’assujettir au débat organologique, et se laissent admirer en soi. D’autant que le discours s’épanche avec une musicalité sans faille, distillé sur quatre différentes flûtes (facture Ernst Meyer et Patrice Allain) et égrené sur un doux clavecin de Jonte Knif & Arno Pelto. Une constante poésie baigne ce parcours qui de Bach laisse sagement rayonner le visage classiciste. Une délicate approche en phase avec les espaces méditatifs de telle Siciliano ou Sarabande. Et au sommet : ce Viens, Sauveur des Païens des grands « chorals de Leipzig » dont la résilience qu’en soutirent Julien Martin et son complice québécois, sans verser dans le racolage mélancolique, ne galvaude pas la digne affusion qui s’écoule habituellement des tuyaux.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8