Deux clavecins enjoués pour Bach

par

Jean-Sébastien BACH (1685-1750) : Concertos pour deux clavecins BWV 1060, 1061 et 1062 ; Prélude et fugue BWV 552, joués sur deux clavecins. Olivier Fortin et Emmanuel Frankenberg, clavecins, Ensemble Masques. 2020. Livret en français, anglais et allemand. 59.46. Alpha 572.

Jouissif, ce CD Bach ! Comme la couleur rouge du homard que l’on voit en couverture, une peinture de Guillaume Romain Fouace (1827-1895), propriété du Musée d’Art Thomas Henry de Cherbourg… On a beau connaître ces partitions par cœur, on est toujours emporté par la richesse polyphonique, l’élégante virtuosité, la capacité de concentration qui s’en dégage. On ne reviendra pas ici sur la genèse de ces œuvres archi-connues dont témoignent maints enregistrements où l’on retrouve, au fil du temps, aussi bien Gustav Leonhardt ou Christopher Hogwood que Christophe Rousset, Pierre Hantaï ou Trevor Pinnock. 

Rappelons cependant que le BWV 1060, composé à Leipzig vers 1738, qui pourrait avoir été originellement conçu pour violon et hautbois, instaure un vrai dialogue entre les deux clavecins dans un contexte de séduction émotionnelle et de chant global raffiné, avec des effets d’écho entre les instruments. Le BWV 1061, composé, toujours à Leipzig, vers 1732-1735, a été probablement conçu comme un duo de clavecins, l’orchestre n’y jouant qu’un rôle limité, aidant le contrepoint dans son développement. Quant au BWV 1062 (Leipzig, vers 1736), il s’agit d’un arrangement du Concerto pour deux violons BWV 1043, dont la densité dépasse le seul concept du dialogue entre deux interprètes pour accorder une place aux autres partenaires. La notice du livret rappelle que « cette modification du genre du concerto est déjà indiquée dans la formulation du titre de la version originale, dans laquelle l’œuvre est appelée « Concert à 6 »

Olivier Fortin et Emmanuel Frankenberg témoignent ici d’une grande complicité qui se manifeste dans ces versions d’une grande lisibilité, à la virtuosité éloquente ; ils expriment une véritable joie de jouer ensemble et la transmettent à l’auditeur. On sait que le Québécois Olivier Fortin n’en est pas à son premier CD Bach et qu’il s’est aussi consacré à Vivaldi, Purcell, Leclair, Rameau ou Couperin. L’Ensemble Masques, qu’il a fondé en 1998 (le nom est inspiré des délassements de l’époque élisabéthaine), joue à merveille le rôle de partenaire. On connaît sa capacité d’articulation et de profondeur, mais aussi sa curiosité (le souvenir récent des Routes du café en témoigne). Ici, il cultive le soutien aux solistes en le transcendant par des échanges entre les lignes mélodiques, d’une fine et délicate distinction. 

Le programme est complété par une transcription pour deux clavecins du Prélude et Fugue en mi bémol majeur BWV 552 issus de la troisième partie de la Clavier-übung de 1739. La notice explique que, lorsque la musique de Bach a connu un renouveau, la nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, a souhaité que les partitions pour orgue de Bach soient transposées pour égayer la musique de salon. « Ainsi naquit l’idée de transférer leurs textures contrapuntiques complexes et leur grandiose plénitude sonore à deux clavecins ou deux pianos. » Une autre manière pour les deux clavecinistes de faire découvrir les formidables couleurs de cette grande architecture avec tout le respect qui lui est dû, grâce à un jeu très brillant. Enregistré à Paris, au Temple Notre Dame de Bon Secours en novembre 2018, ce programme bénéficie de la transparence technique réalisée par Aline Blondiau, nouvelle pierre blanche de haut niveau à ajouter à la production de cette magicienne du son.

Son : 10  Livret : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.