Célèbres cantates de Bach : deux nouvelles parutions

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Ich habe genug BWV 82 ; Liebster Jesu, mein Verlangen BWV 32 ; Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit BWV 106. Joanne Lunn, soprano. Katie Bray, alto. Hugo Hymas, ténor. Matthew Brook, Robert Davies, basse. Alexandra Bellamy, hautbois. James Johnstone, orgue. Dunedin Consort, direction John Butt. Décembre 2020. Livret en anglais, allemand et français (paroles des cantates avec traduction anglaise). TT 66’16. Linn CKD 672

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Ich hatte viel Bekümmernis BWV 21 ; Herz und Mund und Tat und Leben BWV 147. Núria Rial, soprano. Wiebke Lehmkuhl, alto. Benedikt Kristjánsson, ténor. Matthias Winckhler, basse. Gaechinger Cantorey. Hans-Christoph Rademann. Février 2021. Livret en allemand et anglais (paroles des cantates avec traduction anglaise). TT 65’43. Carus 83.522

Ces deux disques cumulent cinq cantates de Bach parmi les plus célèbres. En son texte de présentation, érudit et vulgarisateur comme le permet une intime compréhension des œuvres, John Butt annonce un programme axé sur la dialectique : « une transformation qui s’opère au cours du livret et il est probable qu’un changement analogue était espéré chez l’auditeur attentif. Les trois cantates proposées ici illustrent parfaitement ce processus ». Ambivalence de tristesse et joie résolue par l’acceptation de la mort dans Ich habe genug. Perte et retrouvailles, union des deux Testaments pour Liebster Jesu, mein Verlangen. Inéluctabilité de la mort transcendée par la perspective du salut pour Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit.

Le musicien anglais souscrit à quelques intéressantes options quant au chorton, aux tessitures de cordes et la présence de l’orgue dans la BWV 106 (même si le clavier de James Johnstone demeure hélas peu audible), et nous explique s’être dispensé des doublures d’oboe da caccia pour l’aria centrale de la BWV 82. Les effectifs délibérément réduits correspondent à l’esprit de ce parcours progressif : soliloque, dialogus entre l’âme et Jésus, et le funèbre Actus Tragicus où le chœur s’en tient ici à l’adunation des solistes. On reconnaît là le frugal credo dont John Butt est coutumier, qui se traduit par une équipe instrumentale et vocale ajustée au cordeau, extrêmement soigneuse, exploitant les moindres nuances et capillarités du texte. Seule paille, un Robert Davies passagèrement atone (Bestelle dein haus). On félicitera une conduite rythmique affermie sans lourdeur (Ich freue mich auf meinen Tod par Matthew Brook, même si plus littéral dans ses autres interventions). Joanne Lunn concentre une intensité sans affectation, à l’emblème de cette réalisation chambriste, intériorisée et non moins suggestive, dont les micros de Linn sondent les irisations dans l’agréable acoustique de l’église St-Jude-on-the-hill.

Moins prenant, malgré des pages plus démonstratives mais desservies par les micros, l’album Carus propose deux cantates que le compositeur fit jouer en 1723 à sa prise de poste à la Thomaskirche de Leipzig, retravaillées d’après des partitions datant de sa période de Weimar. Pour l’occasion, la BWV 21 redistribua les interventions solistes entre ténor et soprano et adjoignit un quatuor de trombones ; et la BWV 147 (qui inclut le célèbre « Jésus demeure ma joie ») fut amplifiée, restructurée, quitte à changer de vocation (Fête de la Visitation et non plus quatrième dimanche de l’Avent). Pour la Ich hatte viel Bekümmernis, nous saluions en mars 2021 la magnificence du Collegium Vocale Gent et du Ricercar Consort, avec un Julian Prégardien d’anthologie à la suite duquel Benedikt Kristjánsson semble ici plus ordinaire dans son récitatif et son Bäche von gesalznen Zähren aplani.

La prise de son fine mais pauvre de sève et de relief creuse cette impression défavorable, même si le ténor islandais ne démérite pas en soi. En solo (Seufzer, Tränen, Kummer, Not) ou en duo avec un Matthias Winckhler posé et précis, Núria Rial séduit comme à l’habitude par son chant ciselé et senti. En revanche, malgré une virtuosité d’élocution qu’on admire dans la radieuse conclusion (Das Lamm, das erwüget ist) et l’introduction de la Herz und Mund und Tat und Leben illuminée par une impeccable prestation de trompette, la finesse du chœur (seize voix) s’avère parfois exsangue (Sein nun wieder zufrieden). L’on en vient à se demander si dissocier les solistes des tuttis est une idée vraiment opérante et une pratique légitime. 

Même si on peut estimer son timbre et son style inadaptés pour ce répertoire, Wiebke Lehmkuhl conjoint sobriété et raffinement pour le Schäme dich, o Seele, nicht auquel répond un Matthias Winckhler ardent et contrasté. Le Bereite dir, Jesu, orné des arabesques d’un violon délicieusement fumé, confirme les capacités d’émotion de Núria Rial. Pour s’imposer dans une abondante discographie, il ne manque à ces interprétations transparentes et probes qu’un surcroît de chaleur et de charisme, et qu’une captation plus avenante, singularisée par un clavecin intrusif.

Linn : Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8,5

Carus : Son : 7 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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