L’Oratorio de Noël, et ses deux petits frères, peaufinés à Stuttgart

par

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Weihnachtsoratorium BWV 248 ; Osteroratorium BWV 249 ; Himmelfahrtsoratorium BWV 11. Anna Lucia Richter, Regula Mühlemann, Joanne Lunn, soprano. David Allsopp, alto. Wiebke Lehmkuhl, Elisabeth Jansson, alto. Sebastian Kohlhepp, Jan Kobow, Samuel Boden, ténor. Michael Nagy, Gotthold Schwarz, Tobias Berndt, basse. Gaechinger Cantorey, Hans-Christoph Rademann. Kammerchor Stuttgart, Barockorchester Stuttgart, Frieder Bernius. Notices en allemand, anglais. Pas de livret des paroles. Juillet 2004, mai 2014, décembre 2016, janvier 2017 (réédition). Coffret 3 CDs TT 75’48 + 75’27 + 66’44. Carus Verlag CV 83.047

Après un coffret groupant les Passions, l’éditeur Carus-Verlag compile ici les trois oratorios de Bach, enregistrés entre 2004 (Osteroratorium) et 2017 (Weihnachtsoratorium), partagés entre divers ensembles de Stuttgart. Lorsqu'en 2013, Hans-Christoph Rademann succéda à Helmuth Rilling à la direction de l'Internationale Bachakademie de cette ville, un ensemble entièrement nouveau émergea : le Gaechinger Cantorey, qui rassemble à la fois chanteurs et instrumentistes, engagés dans une pratique et une esthétique communes, comme au temps de Bach. L'Oratorio de Noël fut un des premiers fruits de cette union.

Là où certaines troupes nous ont habitués à des effectifs congrus où les solistes vocaux émanent du chœur, une option historiquement légitime, le présent enregistrement déploie une trentaine de choristes et autant d’instrumentistes, s’inscrivant dans une tradition de largesse. Pour autant, le résultat coule avec limpidité et transparence sans commune mesure avec la lourdeur, l’épaisseur de certaines lectures d’avant le renouveau baroqueux. Hélas, à force de soigner le détail et de peaufiner les nuances, ce fin travail ne s’avère pas toujours très expressif. Entre cent exemples, le Wir singen dir in deinem Heer qui referme la deuxième cantate. L’admirable guillochis des hautbois semble toujours sur la réserve, comme pour ne pas percer le doux tapis de cordes. L’influx des violoncelles et contrebasses reste discret. Diligenté sans faiblir, le célèbre Jauchzet, frohlocket crépite sèchement et laisserait entrevoir une interprétation uniment cursive. Or, à comparer la lenteur accordée au Schaut hin, dort liegt im finstern Stall et la prestesse du Herrscher des Himmels, erhöre das Lallen, on vérifie combien les tempos seront contrastés au gré des séquences.

Contrairement à Sébastien Kohlhepp, Évangéliste fluide et pudique, par ailleurs associé à l’intégrale des cantates par Christoph Spering et le Musikforum de Cologne, le jeune plateau féminin provient plutôt de l’univers opératique. On observe que Regula Mühlemann fut remplacée par Anna Lucia Richter entre les sessions de décembre 2016 et janvier 2017. Dans des partitions qui flattent sa tessiture, Wiebke Lehmkuhl impose son timbre cohérent depuis le grave du registre, mais ne soutire pas tout le potentiel d’affect de moments attendus comme le sublime Bereite dich, Zion. Même si ses partenaires ne sont pas idéalement appariés à sa sobre déclamation, Michael Nagy impressionne tout du long par son verbe puissant. Globalement, la jeune équipe convainc par son accointance avec les enluminures baroques de ces six tableaux de la Nativité. Ils se trouvent ici conclus par le festif Tönet, ihr Pauken ! Erschallet, Trompeten ! issu du BWV 214, refermant une interprétation délicatement pigmentée, à l’image du Schlafe mein Liebster qui pastellise une crèche évanescente.

Bien moins connus que le Weihnachtsoratorium, les oratorios pour les temps de Pâques et de l’Ascension sont complémentaires dans le calendrier liturgique, et se prêtent à un évident rapprochement discographique qu’adoptèrent Gustav Leonhardt (Philips, avril 1996) ou Masaaki Suzuki (Bis, mai 2004). L’Osteroratorium chez Carus apparaissait initialement en CD avec CPE Bach, et s’allie en cette réédition un logique couplage avec le Himmelfahrtsoratorium, que l’on peut apparenter au genre de la cantate tel qu’atteste le rang de catalogue. La notice retrace l’origine de ces opus, dérivés d’un hommage pour l’anniversaire du Duc Christian de Sachsen-Weißenfels pour le BWV 249, et de matériel profane antérieur (1725, 1732) pour le BWV 11 daté de 1735.

En ce coffret, les deux œuvres échoient à Frieder Bernius, et au Barockorchester qu’il fonda en 1985, spécialisé dans le répertoire XVIIIe siècle. Au demeurant, l’animation s’en tient à un geste modéré, peu différent de Hans-Christoph Rademann, que la captation maintient dans un timide relief, étriquant l’élan du Saget, saget mir geschwinde par Elisabeth Jansson au vibrato déjà serré. On goûtera les couleurs palustres de la flûte de Michael Schmidt-Casdorff dans le Seele, deine Spezereien, on constatera un Jan Kobow impassible dans un Sanfte soll mein Todeskummer pourtant subtilement nébulisé par l’orchestre. Inversement, un altus qui en fait beaucoup dans l’Ach bleibe doch sur un rigide accompagnement des archets. La moitié des chanteurs est empruntée à la scène anglaise (la soprano Joanne Lunn, le contreténor David Allsopp, le ténor Samuel Boden, tous familiers de la musique ancienne) quand d’autres proviennent de la terre saxonne (Gotthold Schwarz, Tobias Berndt, formés à Dresde). 

L’oratorio pour Pâques connut plusieurs modifications sous la plume du compositeur. Frieder Bernius choisit une version hybride du premier numéro vocal, fort singulièrement asymétrique : le Kommt, eilet und laufet est ici initié par un duo alors que le da capo est confié au chœur. Dans l’oratorio pour l’Ascension, le Kammerchor Stuttgart s’avère plus fourni qu’en la lecture d’Andrew Parrott (Emi, avril 1989), à un par partie. Cependant, le bilan laisse regretter la luminosité de Michel Corboz (Erato) et plus encore la vitalité de Nikolaus Harnoncourt avec ses truculents Wiener Sängerknaben (Telefunken). Parmi les chefs qui enregistrèrent ces deux (quasi)oratorios, on se souviendra voici une quarantaine d’années, dans les mêmes pénates d’ailleurs, de l’intégrité d’Helmuth Rilling avec… la Gächinger Kantorei d’ancienne école.

Son : 8 à 8,5 (BWV 11) – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

 

 

 



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