Charly Mandon, talents multiples 

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Le jeune compositeur Charly Mandon est l’un des talents majeurs de sa génération. Sa Danse de prométhée sera prochainement au programme d’une série de concerts de l’Orchestre philharmonique de Nice sous la baguette de Lionel Bringuier, artiste associé de la phalange azuréenne. Mais Charly Mandon est un artiste avec de nombreuses cordes à son arc, également passionné par la vidéo et le numérique. Crescendo Magazine s’entretient avec ce jeune homme bien dans son temps. 

L'Orchestre Philharmonique de Nice, sous la direction de Lionel Bringuier, va prochainement interpréter votre Danse de Prométhée. Pouvez-vous nous parler de cette œuvre ? 

La Danse de Prométhée est ma première partition symphonique. Avant elle je n’avais fait qu’orchestrer des extraits d’œuvres du répertoire en classe d’orchestration, « dans le style de ». Pour la première fois j’ai eu l’opportunité de conjuguer orchestration et création, et ça a été quelque chose de profondément libérateur et jouissif. J’ai depuis une appétence constante pour l’écriture symphonique et chaque commande d’orchestre m’enthousiasme énormément.

Bien que la Danse de Prométhée ait été écrite il y a bientôt 10 ans, c’est ma seule partition symphonique qui n’avait pas été donnée par un orchestre professionnel, je suis donc très heureux que Lionel Bringuier et l’Orchestre philharmonique de Nice s’en emparent pour ces quatre concerts début novembre.

Au même programme, il y aura des œuvres de Tchaïkovski dont Francesca da Rimini d'après Dante. La musique de Tchaïkovski est éminemment narrative, est-ce qu'elle est pour vous un modèle  ? 

Tout dépend des œuvres. Je n’ai pas un modèle en particulier parmi les grands compositeurs mais un ensemble de grandes œuvres de divers compositeurs qui me guident. Francesca da Rimini et le Concerto pour violon en font partie, pour ce qui est de Tchaïkovski. Je suis toujours scotché par sa capacité à aller au paroxysme de l’expression, à dépasser notre attente pour frapper encore plus fort que ce que l’on imaginait, en déployant des moyens simples mais d’une exceptionnelle efficacité. Et il y a son génie mélodique, une capacité à inventer des « tubes » qui est phénoménale. Ça c’est vraiment un des sujets centraux pour moi, trouver les mélodies les plus « tubesques » possible. Mais ça dépend tellement de l’inspiration d’un instant et tellement peu du savoir-faire…

Pour répondre sur l’autre aspect de votre question, la dimension narrative de la musique n’est pas ce qui m’intéresse le plus, au sens programmatique du moins. J’aime la structuration purement musicale et les conceptions architecturales ; c’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que la composition de musique de film ne m’a jamais trop attiré jusqu’à maintenant.

Sur votre site, dans votre biographie, vous vous présentez comme “postmoderne de facto” ; si on comprend bien le terme de “postmoderne”, pourquoi “de facto” ? 

La postmodernité définit dans son acception courante une forme de réintroduction distancée des langages (voire même de fragments d’œuvres) du passé, pensée comme un « après » aux avant-gardes de la deuxième moitié du XXème siècle, qui restent elles plus ou moins labellisées « modernes » de nos jours, dans un sens où la modernité deviendrait le nom propre de cette période de rupture dans l’histoire de la musique. 

Dans notre présent où la modernité s’appelle postmodernité, je me dis donc postmoderne « de facto » car la distance volontaire est très rare chez moi, je ne crois pas à une dialectique consciente entre signe et référent. Je ne crois qu’en la recherche de la sincérité la plus absolue dans l’expression, en maximisant les moyens techniques et structurels pour y parvenir. Ce qui fait que ma musique n’est pas une musique du passé mais une musique du XXIème siècle ne m’appartient pas, ça résulte du fait que je suis vivant et en activité. Le simple fait qu’en 2025 un compositeur puisse utiliser le langage tonal après Boulez, Stockhausen ou Xenakis EST postmoderne.

L’acte contemporain est là : ce que la civilisation actuelle, avec son urbanisme, son architecture, ses modes de communication, ses technologies, sa science, apporte dans la synthèse alchimique entre un langage séculier et le temps présent, ce n’est selon moi pas aux créateurs d’en débattre. J’avais été interpellé par ces mots de la musicologue Marianne Pernoo à mon sujet : « Cette musique me renvoie aux architectures cinétiques qui sont aujourd’hui le propre des grands architectes des villes nouvelles. C’est une musique qui colle parfaitement avec le mouvement urbain, on est toujours en train de courir dans un paysage extrêmement architecturé, très carré, fait de matériaux à la fois brillants, scintillants, superposés… on monte, on descend… c’est ça que j’ai vu, c’est ce labyrinthe affairé, très moderne. »

Quels sont les compositeurs contemporains qui vous touchent ? 

J’ai eu la chance d’étudier auprès de deux des plus grands compositeurs français vivants, Thierry Escaich et Guillaume Connesson. Les deux ont écrit des œuvres qui m’ont enthousiasmé autant que les chefs-d’œuvres du répertoire ; pour moi c’est ça la réussite à laquelle doit tendre une partition contemporaine : que des jeunes aient envie de l’écouter en boucle des dizaines de fois. À l’époque c’était le Exultet de Thierry et le Jurassic Trip de Guillaume que je révérais le plus.

Guillaume Connesson m’a par ailleurs fait découvrir d’autres compositeurs vivants de différentes nationalités - il a une énorme culture très éclectique et sans cesse renouvelée en la matière - dans sa classe d’orchestration, notamment John Adams, Louis Andriessen, Thomas Adès. J’ai eu un énorme choc en entendant Nixon in China à Bastille, j’ai carrément acheté la partition et travaillé des passages au piano ensuite ; The exterminating Angel, toujours à Bastille, a aussi été une expérience véritablement marquante, même si le pouvoir de séduction du langage d’Adès dans cet opéra reste pour moi indissociable de l’expérience visuelle et scénique hallucinante de cette production. J’ai quand même eu envie de réécouter les airs « d’hypercolorature », tellement impressionnants.

J’aime aussi beaucoup certaines œuvres de mes amis Jérôme Ducros, Stéphane Delplace, Lucas Debargue. Ils ont tous les trois un rapport totalement décomplexé au passé et un vrai amour de la beauté.

Si on organise une bataille amicale et symbolique entre la forme et le fond, qui doit gagner d'après vous  ? 

Votre question véhicule des hypothèses cachées !

La bataille n’est pas concevable à mon avis, la musique est pure forme et son impact sur l’âme humaine pur fond. Toute tentative de « mettre » du fond dans la forme ne fait que l’alourdir et la dévier de sa cible, qui est de susciter ou réveiller du fond en nous. Je reprends une dichotomie qui n’est pas de moi : la musique peut être lourde et superficielle comme profonde et légère. Bien souvent, l'œuvre qui glose le plus sur le fond ne me semble pas appartenir à la seconde catégorie…  

L'une de vos œuvres porte pour titre le Marteau avec Maître, on voit bien une pique humoristique à la partition manifeste de Pierre Boulez. Alors que cette année on célèbre son centenaire, est-ce que sa musique ou l'homme de rupture qu'il était, peuvent vous inspirer ?  

Absolument, ils m’inspirent beaucoup ! beaucoup de sentiments acrimonieux. 

Plus sérieusement, je crains de n’avoir aucune sensibilité aux œuvres de Pierre Boulez. Quant à l’homme, je fais partie de ceux qui pensent qu’il a activement asséché le paysage de la création musicale française ; c’était un autocrate ouvertement méprisant envers des compositeurs qui lui étaient, à mon sens, bien supérieurs. Son vrai talent aura été de convaincre le politique de flécher à sa guise et pendant des décennies une part substantielle de l’argent public consacré à la musique.

Cela étant, je respecte au moins chez lui la rigueur du travail compositionnel et la non-compromission esthétique : c’était un radical avec une très haute idée de l’art musical savant. Même si, in fine, cet idéal a je crois coupé de la création contemporaine une bonne partie de l’auditoire de la musique classique.

Enfin, force est de reconnaître que sa mort ne l’a pas plongé dans l’oubli ; de brillants musiciens aiment visiblement sa musique et la défendent : ce n’est pas négligeable. Peut-être la Révélation viendra-t-elle un jour pour moi ? j’ai pourtant déjà fait bien des efforts infructueux à l’adolescence pour trouver la foi… 

En attendant, s’il y a une chose qui me plaît chez Boulez, ce sont assurément ses titres !

Quelles musiques écoutez-vous en ce moment ? 

Je ne suis pas un grand consommateur de musique. J’ai étudié à fond durant mes études certaines grandes partitions qui font désormais partie de moi, mais ne suis pas un grand explorateur. C’est souvent grâce à des amis qui partent en éclaireurs pour moi que je découvre de nouvelles œuvres !

Ces derniers temps, je peux citer à leur crédit trois révélations : D’un soir triste de Lili Boulanger, La nuit de Walpurgis de Widor et… la Sonate pour violoncelle et piano de Rachmaninov (oui, j’étais passé à côté).

Vous êtes également vidéaste, en quoi cette pratique peut-elle nourrir vos compositions, ou l'inverse ?

J’ai plusieurs passions en-dehors de la musique, dont l’image et le cinéma. Je vous réponds d’ailleurs depuis le TGV pour Angoulême, où ma dernière réalisation en la matière a été sélectionnée par le festival Courant3D ; la musique n’est pas loin puisque qu’il s’agit d’un court-métrage musical en 3D stéréoscopique, Three Dimensional Encores, dans lequel mon ami Lucas Debargue interprète trois œuvres contemporaines pour piano : son Étude, le Septem Perpetuum de Stéphane Delplace et mon Wutstück.

De manière générale j’ai tendance à m’intéresser à beaucoup de choses et à aimer faire moi-même : codage informatique et développement web, photo, vidéo, construction… d’un côté tout cela nourrit la partie musicale, directement parce que ces savoir-faire me sont utiles ou indirectement parce qu’ils me permettent de « ventiler » quand j’ai trop de musique dans la tête, de l’autre le danger est de se disperser, de se laisser absorber dans ses hobbies de manière trop chronophage. Il faut maintenir l’équilibre en permanence !

Vous êtes un compositeur français mais je sais que vous avez étudié en Belgique et l'une de vos œuvres, un Trio, à même été donné en création mondiale à la Maison des Cultures du Monde de Molenbeek-Saint-Jean. Quel est votre lien avec la Belgique ? 

J’aime beaucoup la Belgique. Après mon master en techniques compositionelles au Conservatoire de Paris, j’ai passé plusieurs années à Bruxelles au Conservatoire royal où j’ai étudié la direction d’orchestre avec Philippe Gérard ; j’en garde un merveilleux souvenir alliant bonne humeur et grand professionnalisme, amabilité et exigence. Humainement parlant, rien à voir avec ce que j’avais connu auparavant dans ce domaine !

Mes condisciples et moi avons en outre eu la grande chance de passer notre master devant l’Orchestre philharmonique de Liège, dans la Salle Philharmonique. Là encore, j’ai retrouvé cette combinaison d’un haut niveau musical et d’une grande tolérance et bonne humeur. Quel bonheur !

C’est donc avec le plus grand plaisir que j’ai eu l’occasion de participer à différentes programmations, à la Maison des cultures de Molenbeek en effet avec le Trio Swynca, mais aussi au Musée des Beaux-Arts dans le cadre du festival Musicorum à l’invitation d’Éliane Reyes ou encore à la grande salle de la Régence…

Le Covid a malheureusement mis un coup d’arrêt à plusieurs projets à Bruxelles et à Mons mais il y en a de nouveaux qui se profilent pour ces prochaines années, ce dont je me réjouis grandement !

Vous êtes un grand fan de bières belges, je présume ? Mais vous deviez l’être déjà avant de venir en Belgique ?

Absolument. Qui de la poule ou de l’œuf, la question restera ouverte en l’absence de mon avocat ! … et voilà, vous m’avez donné envie d’un petit Orval bien frais à une terrasse du vieux centre…

Le site de Charly Mandon : https://charlymandon.fr

A écouter : 

La Danse de Prométhée sera au programme de l’Orchestre philharmonique de Nice, sous la direction de LIonel Bringuier pour des concerts dans le cadre de l’Opéra de Nice, du 7 au 9 novembre. Renseignements et réservations : www.opera-nice.org/fr/evenement/1285

Crédits photographiques : DR

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