Compositrices à l'aube du XXe siècle

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Mel BONIS (1858-1937) : Sonate ; Pièce op. 189 ; Scherzo (Finale), op. Posthume 187. Lili BOULANGER (1893-1918) : Nocturne ; D’un matin de printemps. Clémence de GRANDVAL (1828-1907) : Suite. Cécile CHAMINADE 1857-1944) : Sérénade aux étoiles, op. 142. Augusta HOLMES (1847-1903) : Trois petites pièces. 2019. Juliette Hurel, flûte ; Hélène Couvert, piano. Livret en français, en anglais et en allemand. 64.26. Alpha 573.

Nous ne reviendrons pas sur la situation des femmes compositrices au XIXe et au début du XXe siècles, sauf pour souligner le fait qu’il est grand temps que justice musicale leur soit rendue. La flûtiste Juliette Hurel et la pianiste Hélène Couvert font partie de ce processus de « réhabilitation » en marche, qui permet d’appréhender et d’apprécier à leur juste valeur les œuvres de plusieurs d’entre elles, dont les noms sont connus mais dont les partitions ne bénéficient que d’une diffusion limitée. Mel(anie) Bonis est à l’orée du programme dans une Sonate raffinée de 1904, en quatre mouvements, d’une grâce infinie et d’une attachante légèreté, alternant des moments bucoliques ou vivifiants, et assurant un bel échange entre la flûte et le piano. On est tout de suite sous le charme des pages de cette élève de César Franck qui, une fois mariée, continua à écrire de la musique, se fit connaître dans divers milieux français et laissa un catalogue riche d’environ deux cents opus. On la retrouve un peu plus loin dans le CD, avec deux jolies pièces demeurées manuscrites. 

Morte à 25 ans, Lili Boulanger, la sœur cadette de Nadia, avait remporté le Prix de Rome en 1913. En raison de sa courte existence, son œuvre est peu abondante, mais on y relève des pages magnifiques, les Psaumes 24, 129 et 130, des mélodies et de la musique de chambre, deux d’entre elles étant ici présentes : un très poétique Nocturne de 1911 et une pièce enlevée, D’un air de printemps, terminée peu de temps avant sa disparition, dans laquelle dominent la joie et la danse et qui fait penser à Debussy. Après ces deux compositrices dont les qualités d’écriture sont ainsi démontrées, on découvre Clémence de Grandval, dans une Suite en cinq mouvements. Issue d’une famille d’amateurs de musique, elle devint l’élève de Camille Saint-Saëns pour la composition à l’âge de 23 ans, après son mariage avec un vicomte. Mais elle pratiquait déjà le chant et la musique de chambre, domaines dans lesquels elle était appréciée. Elle laisse des partitions religieuses, des pages symphoniques et des mélodies d’un grand intérêt. Sa Suite de 1872 eut le privilège d’être créée par Paul Taffanel, célèbre flûtiste à laquelle elle est dédiée, avec Saint-Saëns au piano ! Les qualités de Clémence de Grandval sont établies à travers cette partition finement ciselée, aux mélodies superbes et aux couleurs chatoyantes ; elle vaut bien certaines pages de son professeur. 

Les Trois petites pièces d’Augusta Holmès, publiées en 1897, évoluent dans un climat songeur qui ne manque pas d’espace, rappelant que cette élève de César Franck qui fréquenta Chausson et Vincent d’Indy, a laissé des mélodies dont elle rédigeait elle-même les textes et des poèmes symphoniques ambitieux, qui ont fait l’objet d’enregistrements. Ici, on découvre son attrait pour les airs populaires, notamment celtiques, dont elle s’inspire. Le programme propose encore une très courte pièce d’un peu plus d’une minute que l’on doit à Cécile Chaminade, qui étudia la composition avec Benjamin Godard. De tempérament dépressif suite à des déboires sentimentaux et familiaux, elle se consacra à un répertoire de salon, léger et séduisant pour les amateurs du genre. Sa Sérénade aux étoiles de 1911 est un petit bijou de poésie délicate et d’une infinie tendresse, qui enchante l’auditeur mais le laisse sur sa faim d’en découvrir plus.

Ce superbe programme, enregistré aux Pays-Bas, dans la Westvest Kerk de Schiedam en juillet 2019, est bien construit et joué avec une grande complicité par les deux partenaires, qui servent ces partitions avec un goût parfait et une sonorité chaleureuse et avec l’élégance ou le lyrisme qui conviennent. L’éditeur ne dit hélas pas un mot à leur sujet, ce qui est bien dommage. Rappelons dès lors que Juliette Hurel, née en 1970, à Auxerre, a obtenu un Premier Prix de flûte au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et a été lauréate de plusieurs concours internationaux dont le Concours Jean-Pierre Rampal. Elle a joué avec de nombreuses formations et des partenaires comme Martha Argerich, Youri Bashmet ou Gidon Kremer. Depuis 1998, elle est flûtiste solo de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Elle a déjà enregistré des œuvres de Haydn, de Martinu ou de Prokofiev et de musique française avec sa partenaire pianiste Hélène Couvert. Celle-ci, née à Aulnay-sous-Bois en 1970 également, a fait ses classes au Conservatoire de Paris, a reçu des conseils de Jacques Rouvier et de Marie-Françoise Bucquet. Elle a aussi été soutenue par Leon Fleisher. Elle a signé des CD consacrés notamment à Beethoven, Haydn ou Janacek. Voilà un duo remarquable !

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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