Juliette Hurel et Hélène Couvert, trente ans d’amitié musicale
Nature romantique. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Trio en sol mineur pour flûte, violoncelle et piano, op. 63. Franz Schubert (1797-1828) : Schäfers Klagelied, D. 121, transcription pour flûte et piano ; Introduction, thème et variations sur ‘Trockne Blumen’ tiré de Die schöne Müllerin, D. 802 ; ‘Trockne Blumen’ tiré de Die schöne Müllerin D. 795, transcription pour flûte et piano. Carl Reinecke (1824-1910) : Sonate ‘Undine’ pour flûte et piano, op. 167. Juliette Hurel, flûte ; , piano ; Emmanuelle Bertrand, violoncelle. 2022. Notice en français, en anglais et en allemand. Texte des lieder en langue en allemand, avec traduction française et anglaise. 69.31. Alpha 982.
Pour célébrer trente ans d’amitié musicale et un long et merveilleux chemin parsemé de joies, de rencontres, de découvertes et de partages, ainsi que le précise une brève introduction, la flûtiste Juliette Hurel et la pianiste Hélène Couvert, toutes deux nées en 1970, signent un nouvel album pour le label Alpha. Nous avons fait écho, le 5 mars 2020, à celui qui proposait, sous le titre Compositrices, des pages de Mel Bonis, Lili Boulanger, Cécile Chaminade ou Augusta Holmes. Nous y renvoyons le lecteur pour quelques détails biographiques. Le titre évocateur Nature romantique, assorti de jolies photographies en couleurs prises en milieu boisé, permet aux deux complices de proposer un programme au sein duquel, comme le dit Axelle Thiry dans la notice, le paysage devient le miroir dans lequel l’âme romantique se reconnaît. Dans la foulée, la beauté des forêts profondes, des lacs enchanteurs, des sommets qui se découpent dans l’azur ou du ciel qui flamboie, plante un décor que l’on retrouve dans le projet, le charme lyrique, la finesse des sentiments et l’élégance stylistique s’inscrivant au premier rang.
Pour mettre en valeur le Trio op. 63 de Weber, gorgé d’expressivité, la flûtiste et la pianiste ont fait appel à la personnalité chaleureuse de la violoncelliste Emmanuelle Bertrand (°1973), dont la riche discographie témoigne de la qualité de jeu. Ecrite entre 1813 et 1819, cette partition en quatre mouvements évoque la douloureuse mélancolie (Weber a connu la perte d’un enfant) dans l’Allegro moderato initial, la légèreté dans l’Allegro vivace, avec une danse issue du Freyschütz, l’infinie tristesse dans l’Andantino espressivo du Schäfers Klage (composé cinq ans avant les autres mouvements) qui s’inspire de Goethe, avant un Allegro conclusif qui laisse les échanges brillants entre la flûte et le violoncelle être soutenus, avec un esprit divertissant, par un piano qui les entoure d’aspects décoratifs. Les trois partenaires donnent de ce trio une version d’une élégante délicatesse, tout à fait représentative d’une âme « romantique ». Cela incite à la rêverie et à l’évasion vers la nature, qui est aussi consolatrice.
La Sonate ‘Undine’ de Carl Reinecke, publiée en 1882, s’inspire du roman du même titre de Friedrich de La Motte-Fouqué (1777-1843), paru en 1811, qui servira aussi de base pour d’autres œuvres musicales, notamment des opéras d’E.T.A. Hoffmann et de Lortzing. Ce génie des eaux de la mythologie germanique incite, lui aussi, à la rêverie, le charme précédant le drame de l’amour entre un chevalier et la nymphe, une passion qui finira mal. Au cours des quatre mouvements, la confrontation entre la flûte et le piano est traversée par la tendresse ou la joie de l’union, mais aussi par le poids de l’inéluctabilité du destin. On n’est pas très éloigné de Schumann, avec lequel Reinecke a eu des liens d’amitié. L’osmose est complète entre les interprètes, qui exaltent de façon convaincante cet univers enchanté avec une retenue proche de la pudeur.
Schubert complète l’affiche de ce très beau récital. Avec deux courtes transcriptions pour flûte et piano : celle du Schäfers Klagelied, d’après Goethe, mis en musique à la même époque que Weber, dans lequel la douleur de l’amour perdu étreint le cœur, et celle du lied ‘Trockne Blumen’ (Fleurs séchées) qui combine amour et chagrin, dans un contexte émotionnel de renouveau de la nature. C’est en 1824 que Schubert compose l’Introduction, Thème et Variations sur le ‘Trockne blumen’ pour flûte et piano, une complainte intime dont l’introduction sonne comme une marche funèbre, avant que le thème ne précède une série de sept variations, illustrations aussi bien de la légèreté que de la nostalgie, de la candeur que de la virtuosité, celle-ci clôturant l’ensemble de façon assez joyeuse, comme pour dissiper la tristesse de ces « fleurs séchées » à la vie éphémère.
Ce qui est remarquable dans ce récital, c’est qu’il respecte vraiment le double sens que l’on peut attribuer à son titre, qui couvre à la fois la réalité de la nature consolatrice et protectrice, et la « nature » romantique de l’expressivité des compositeurs. Grâce aux trois solistes, on vit intensément cette approche où la finesse s’érige en principe premier. Un très beau disque de musique de chambre.
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix