Concert de clôture du Concours Reine Elisabeth : Rachmaninov raisonnable, Ravel rutilant, Beethoven bienfaisant

par

Sergey Rachmaninov Concerto n°3 en ré mineur op. 30
Alexander Beyer (piano)
Maurice Ravel Concerto en sol majeur
Henry Kramer (piano)
Ludwig van Beethoven Concerto n°3 en do mineur op. 37
Lukas Vondracek (piano)Brussels Philharmonic, direction Stéphane Denève
321Le concert de clôture du Concours Reine Elisabeth permettait au public -auquel s’était joint le couple royal- d’entendre une fois encore les trois premiers lauréats auréolés de leur gloire toute fraîche, mais offrait aussi une occasion de confirmer (ou non) les impressions laissées par ces interprètes tout au long de cet éprouvant marathon pianistique.
Le premier à monter sur la scène du Palais des Beaux-Arts pour rejoindre le Brussels Philharmonic et le chef Stéphane Denève fut Alexander Beyer, troisième lauréat, dans le Troisième Concerto de Rachmaninov qu’il avait déjà choisi d’interpréter lors de l’épreuve finale. Si sa prestation -d’une belle sûreté digitale- avait certainement de la tenue et du goût (ni brutalité clinquante, ni sentimentalisme dégoulinant), elle étonnait par son côté uniformément raisonnable et émotionnellement assez tiède. Bien sûr, il y eut de beaux moments, comme dans le premier mouvement où le premier solo après la cadence était pudique comme du Fauré. De même, le jeune pianiste américain donna de l’Intermezzo une interprétation claire et équilibrée. Et s’il est vrai que la température monta enfin à l’extrême fin du Finale où les traits les plus virtuoses furent joués avec une belle égalité, l’impression générale était d’une approche propre et soignée, bien élevée et sans sécheresse mais, en fin de compte, assez impersonnelle et dépourvue de tout envoûtement romantique.
Avec Henry Kramer on monta d’un, voire de plusieurs crans dans un Concerto en sol de Ravel abordé avec franchise dans un premier mouvement véritablement solaire. Pouvant compter sur un chef et un orchestre très impliqués (très beaux solos de harpe), le deuxième lauréat fit montre d’une souplesse féline, et rendit pleinement justice au côté jazz de la partition par ses subtils appuis rythmiques. L’Adagio assai fut très finement abordé par Kramer, avec de belles sonorités pastel très travaillées (à côté de quoi celles de Beyer parurent presque frustes), une belle douceur et un constant souci de la ligne musicale, tout en évitant de faire lourdement retomber la main gauche et en ayant toujours à l’esprit le côté néo-bachien de cette splendide page. Les interventions des vents de l’orchestre furent ici excellentes, avec de belles contributions de la flûte et du cor anglais. Dans l’enivrant mouvement perpétuel du Presto final, le pianiste américain y alla d’une virtuosité insouciante et sans effort.
Après la pause, il appartenait bien sûr à Lukas Vondracek de clôturer en beauté cette soirée de gala. Ce qu’il fit dans une interprétation du Troisième Concerto de Beethoven de très grande classe. Après la longue introduction orchestrale de l’Allegro con brio initial, où on fut étonné de voir Stéphane Denève appliquer à son orchestre -et avec succès- certains principes de l’interprétation historiquement informée (cordes sans vibrato, articulation très soignée, soufflets dynamiques sur les notes longues, timbales guerrières), le pianiste tchèque montra ce que c’est de savoir faire chanter un piano. Cette sonorité légère et lumineuse, ce toucher à la fois chantant et finement percussif, cette égalité dans les traits, cette façon d’articuler et de maintenir la tension musicale sans effort ni crispation ne sont possibles que de la part d’un interprète totalement détendu sur le plan musculaire et au mental serein. La cadence fut abordée avec une merveilleuse fluidité du mécanisme comme de la sonorité. (En cherchant, on pourra relever quelques forte pas parfaitement maîtrisés dans les graves). Et le regard d’approbation adressé par le chef au soliste à l’issue de ce vaste mouvement en disait long.
Dans le sublime Largo, Vondracek rendit toute l’émotion de la musique en donnant un juste poids à chaque note au sein d’une ligne de chant parfaitement galbée.
Et c’est à pleines dents qu’il mordit dans l’irrésistible Rondo final, soutenu par un orchestre léger et dansant. Le pianiste lui aussi adopta cette légèreté joyeuse et bondissante, avec en plus un toucher parfaitement égal dans les passages en gammes, des aigus clairs et argentés, et une belle compréhension de l’humour bon enfant et des traits d’esprit de Beethoven. Un enchantement.
Patrice Liebermann
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 9 juin 2016

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