Jubilations avec Simone Young au pupitre de l'Orchestre national de France

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Trois œuvres étaient proposées : le Concert pour orchestre d’Éric Tanguy (en création mondiale), le Concerto pour piano N° 1 de Dimitri Chostakovitch, et la Symphonie N° 41 de Wolfgang Amadeus Mozart. Difficile d’imaginer œuvres plus dissemblables ! Que ce soit par leurs époques (2023, 1933 et 1788) ou leurs lieux (Paris, Leningrad et Vienne) de composition, et surtout leurs esthétiques musicales et leurs propos artistiques. Mais, tout de même, sans doute peut-on leur voir, en commun, un certain sens de la jubilation.

L’orchestre d’Éric Tanguy est généreux : 60 instruments à cordes (ils ne seront « plus que » 41 pour la suite du programme), 12 bois (aucun pour Chostakovitch, 5 pour Mozart), 13 cuivres (seule la trompette soliste pour Chostakovitch, 4 pour Mozart) et 3 percussionnistes (respectivement 0 et 1 après). Alors qu’il est un compositeur plutôt prolifique, c’est seulement sa huitième pièce pour orchestre seul (sa dernière création à Radio France, il y a quelques semaines, était concertante, avec sa Ballade pour violon et orchestre). Ce que nous avons entendu ce soir devrait inciter les décideurs à lui passer d’autres commandes symphoniques. Car c’était magnifique.

Et, donc, jubilatoire. Le compositeur ne s’en cache pas : « Je veux du sonore jubilatoire. » Mission accomplie.

Le titre est donc « Concert pour orchestre ». Et non « Concerto » comme cela a pu être écrit ici ou là, peut-être car notre inconscient a envie de corriger pour nous amener vers le chef-d'œuvre de Béla Bartók. Pourtant, à part d’être merveilleusement écrits pour l’orchestre symphonique, ils n’ont pas grand-chose à voir : la pièce d’Éric Tanguy est nettement plus courte, ses mouvements sont enchaînés, et surtout elle n’a pas ce côté démonstratif et virtuose qu’a voulu Bartók, lequel a cherché à faire briller chaque instrument de l’orchestre (quand ce n’était pas chaque soliste), alors qu’Éric Tanguy, lui, met en valeur des familles d’instruments. Et puis, son propos est avant tout poétique, et en cela il s’inscrit dans la lignée d’autres compositeurs qui ont utilisé ce titre de « Concert », et auxquels il rend ainsi hommage : Rameau, Chausson et Messiaen.

Le programme de salle présente cette pièce comme « un long crescendo, depuis les teintes étouffées du début jusqu’à l’explosion de l’accord final ». En effet, l’atmosphère du début est envoûtante, avec des sonorités chatoyantes, magnifiées par un Orchestre National de France des grands jours, sous la direction d’une Simone Young à la fois souple et alerte. Et le tout dernier accord, joué par tout l’orchestre triple-forte et qui laisse longuement résonner le tam-tam et les cymbales, est d’un effet rare. Mais entre les deux, le crescendo est davantage dans le sens de l’intensité, en étant de plus en plus sauvage et tendu, que sur le seul plan sonore, de façon linéaire, à la Boléro de Ravel.

L’écriture pour orchestre d’Éric Tanguy est d’une maîtrise absolue. Bien sûr également grâce au travail orchestral réalisé par Simone Young, nous sommes stupéfaits par la clarté de ce que nous entendons (par exemple, quand le tuba ou le contrebasson « passent » par-dessus l’orchestre malgré leur registre grave). Le compositeur n’a jamais recours à des procédés instrumentaux qui seraient à contremploi (ni, du reste, à des instruments rares). Il en résulte, que ce soit pour les interprètes ou les auditeurs, un certain confort. Cela pourrait être une limite très problématique, bien sûr. Mais comme il fait preuve d’une imagination foisonnante dans les alliages de timbres, il trouve des sonorités très inattendues qui nous surprennent sans cesse (par moments, il est même difficile de deviner quels instruments jouent). Et comme il ne cède ni à une quelconque théorie intellectuelle, ni à aucune facilité compositionnelle, nous ne doutons pas qu’Éric Tanguy est dans une démarche véritablement artistique. 

Suivait le Concerto N° 1 pour piano, trompette et cordes de Chostakovitch. En solistes, le pianiste français Cédric Tiberghien, dont la curiosité musicale n’est plus à démontrer, et Andrei Kavalinski, d’origine biélorusse, trompettiste solo de l’Orchestre National de France (il était du reste à son pupitre pour les deux autres œuvres de la soirée). Pour le compositeur, ce devait être le premier concerto pour piano « soviétique » de l’histoire, et en lisant cette déclaration : « Je perçois notre époque comme héroïque, exaltante, et pleine de joie de vivre. Je veux l’exprimer dans mon concerto. », on comprend que le caractère jubilatoire de l’œuvre a été on ne peut plus volontaire.

Assez vite dans l’Allegretto moderato, nous percevons la volonté de contrastes de Cédric Tiberghien, qui passe de la nostalgie la plus mélancolique à un jeu extrêmement percussif (même si, le plus souvent, il y met une remarquable légèreté). Andrei Kavalinski, lui, épate par sa virtuosité maîtrisée, et la direction vive et flexible de Simone Young permet à chaque pupitre de cordes de briller tour à tour. Les premiers violons introduisent superbement, tout en simplicité, le Lento. Cédric Tiberghien commence et termine ce mouvement comme hors du temps, avec des sonorités qui rappellent, étonnamment, Erik Satie. Entre les deux, il fait preuve d’une puissance instrumentale impressionnante. Andrei Kavalinski, réellement inspiré, est poignant, et ce Lento se termine, sous la direction très investie de Simone Young, dans le mystère. Le court Moderato n’est en réalité qu’une introduction au Finale, irrésistiblement parodique. L’orchestre ne surjoue cependant pas cet aspect (peut-être même pourrait-on considérer qu’il ne se débride pas tout à fait assez), mais les solistes s’en donnent à cœur joie ! Cédric Tiberghien, lui, est complètement débridé. Et la trompette d’Andrei Kavalinski brille de tous ses feux.

En bis, les deux solistes jouent la très sentimentale Mélodie en fa majeur (Op. 3 N° 1) d’Anton Rubinstein, qui permet surtout à Andrei Kavalinski de faire admirer la richesse de sa sonorité.

Après l’entracte, un compositeur que certains interprètes savent rendre particulièrement jubilatoire : Mozart. Sa Symphonie N° 41 (sa dernière, appelée – de façon apocryphe – « Jupiter »), brillante et majestueuse, a tout pour susciter cette jubilation. Et Simone Young, en effet, la dirige (par cœur et sans baguette) ainsi. À noter que les deux cors et les deux trompettes sont nettement séparés, de chaque côté de la scène ; il en résulte d’intéressants effets sonores. Dès l’entrée de l’Allegro vivace, il y a une très belle énergie, tout en équilibre et en maîtrise, mais sans rien de retenu. La cheffe a des gestes parfois proches du soundpainting, comme si elle peignait en direct, sur une toile imaginaire, la musique qu’elle voulait entendre. Elle fait de l’Andante cantabile un drame en miniature, sans appuyer aucun effet, mais en mettant, très subtilement, en valeur l’incroyable richesse d’écriture. Son Menuetto est dansant, plein de variété, tout en élégance et en humour. Quant au Finale, il est comme celui d’un opéra : tant de vitalité évoque des situations qui se dénouent et des destins qui s’éclairent. 

Il n’y a pas de doute : cette cheffe australienne, qui fait une magnifique carrière, dirigeant les meilleurs orchestres mondiaux dans les salles (en particulièrement lyriques) les plus prestigieuses, et qui a un très vaste répertoire, est une grande. Elle a su donner à cette soirée, au programme quelque peu disparate, une certaine unité. Et sa direction d’orchestre est... jubilatoire !

Paris, Auditorium de Radio France, 19 juin 2025

Crédits photographiques : Sandra Steh

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