Ils étaient 10 000 à prendre les Chemins de traverse du 22eme Lille piano (s) Festival à Lille
Vendredi soir un air chaud emmitoufle la capitale des Flandres et la salle de théâtre du Casino Barrière n’y échappe pas totalement malgré la climatisation maison ; voilà sans doute pourquoi les musiciens de l’orchestre National de Lille se présentent, une fois n’est pas coutume, en bras de chemise d’un blanc impeccable qui tranche harmonieusement avec le noir strict des nœuds papillons et celui, miroitant, des robes légères des musiciennes.
Jean Claude Casadesus, toujours fringant, est à la baguette pour ce concert d’ouverture du vingt- deuxième festival qu’il a créé de toutes pièces il y a 20 ans. Au programme l’ouverture d’Obéron de Carl Maria von Weber à l’écriture aussi ciselée qu’explosive suivi du redoutable Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski au service duquel le virtuose Ouzbek Behzod Abduraimov emploie une technique éblouissante doublée d’une spectaculaire énergie. Belle entrée en matière pour un Week end de folie tous claviers déployés aux quatre coins de Lille avec pas moins de quarante concerts.
On en trouvera ci-après quelques échos très partiels, impressions ressenties lors d’un parcours singulier sur des chemins de traverse.
Les paysages de l’âme
Samedi, petite marche matinale au fil des rues pavées du Vieux Lille, le temps de rejoindre la place du concert et l’accueillant auditorium du conservatoire à la belle acoustique. Fanny Azzuro y interprète l’intégrale des Préludes de Rachmaninov. Une heure trente sans discontinuer à travers « les paysages de l’âme » selon une expression chère à la pianiste qui y emploie une technique irréprochable et une infinie palette de sonorités (elle a été initiée au répertoire et à la grande école russe par sa rencontre avec Boris Tétrushanski). Le public est aux anges !
A l’ombre de la Cathédrale
Le temps de prendre un sandwiche jambon-beurre avec une bière bien fraîche il est vite l’heure de diriger nos pas vers la Cathédrale notre -dame de la Treille, pas loin de là, dont l’imposante façade en marbre bleu est surplombée d’une flamboyante rosace due au talent du peintre Ladislas Kijno.
Un premier rendez-vous est fixé au sous-sol dans la crypte moderne du centre d’art sacré où l’accordéoniste Ukrainien Bogdan Nesterenko s’est fixé le vertigineux défi d’interpréter successivement la Chaconne en ré mineur (Bach-Busoni) et Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Diplômé du conservatoire supérieur de musique de Kharkiv en accordéon et direction d’orchestre Bogdan Nesterenko a trouvé en 2006 une terre d’accueil dans notre région du Nord de la France où l’accordéon fait partie intime du patrimoine populaire. Il utilise un accordéon « Bayan » fabriqué en Russie dont l’exceptionnelle richesse de timbres et les multiples registres sont mis ici à belle épreuve ; Bach et Moussorgski comme vous ne les avez jamais entendus ! La prestation sera saluée par une Standing ovation.

Une heure après, retour cette fois, dans la cathédrale pleine comme un œuf pour le Requiem de Fauré. Le chœur de chambre Septentrion, ensemble vocal professionnel ( une autre richesse musicale des Hauts de France) dirigé Par Mathieu Romano est associé à l’ONL pour cette messe des morts aux accents parfois très doux précédée notamment d’un lancinant et obsédant hymne pour cordes et percussions (Fratres) de l’Estonien Arvo Pärt ; deux œuvres d’une beauté à couper le souffle dédiées à l’apaisement et à la fraternité et qui pourtant, brusquement , par un obscur cheminement de pensée, nous ramènent aux fracas et désastres humains du monde actuel. Sauvagerie guerrière d’un temps que l’on pensait naïvement révolu.
Echenoz / Ravel
Dimanche, manière d’échapper un peu à la lourdeur du temps, par la voix du comédien Dominique Pinon l’écrivain Jean Echenoz croque avec une ironique finesse le portrait et les dix dernières années de Maurice Ravel ; avec élégance amusée et brio la pianiste Hélène Tysman distille les répons musicaux du compositeur, Concerto pour la main gauche, l'Oiseau triste, Pavane pour une infante défunte …
Ce n’est pas un récital mais un concert -lecture où la finesse des mots rivalise avec l’intensité des notes et vice-versa. La musique raconte toujours une histoire (Hélène Tysman) et l’histoire de Ravel que nous conte Jean Echenoz ne manque pas de sel. (un savoureux spectacle à ne pas manquer si ça passe près de chez vous.)
Il faudrait aussi parler de l’intégrale Ravel, interprétée en 2 temps et à guichets fermés et avec le talent sensible que tout le monde lui reconnaît, par Bertrand Chamayou, ou encore du concert de Clôture avec l’Antwerp Symphony Orchestra dirigé par Karl-Heinz Steffens avec en soliste Nikola Meeuwsen encore tout ému d’avoir obtenu le premier prix du concours Reine Elisabeth 2025.
Ajoutez à ce panorama la trentaine d’autres propositions associant, classique, jazz, musiques nouvelles et musiques du monde, suivies trois jours durant par près de 10 000 spectateurs/auditeurs…
Rendez-vous est déjà donné les 12, 13 et 14 juin 2026.
Paul K’ros
Crédits photographiques : Orchestre national de Lille / Lille Piano Festival