Concerts sacrés de Johann Rosenmüller

par

Johann ROSENMÜLLER (1619-1684) : Deutsche geistliche Konzerte. Irena Troupova et Dorothea Sprenger, sopranos ; Uwe Czyborra, alto ; Hermann Oswald et Michael Schaffrath, ténors ; Martin Backhaus, basse ; Johann Rosenmüller Ensemble, direction Arno Paduch. 2019. Livret en allemand et an anglais. Textes sacrés en allemand. 72.03. Christophorus CHE 0221-2.

Fondé par le cornetto et chef d’orchestre allemand Arno Paduch en 1995, le Johann Rosenmüller Ensemble s’est spécialisé dans la musique peu connue des XVIIe et XVIIIe siècles : Kerll, Pachelbel, Hammerschmidt, Praetorius, Schmelzer et quelques autres ont bénéficié de parutions en CD sous étiquette Christophorus. Cette fois, c’est au compositeur dont il porte le patronyme qu’il apporte tous ses soins. Lorsqu’il arrive à Venise où il va devenir tromboniste à Saint-Marc en 1658, puis compositeur à l’Ospedale della Pieta, Johann Rosenmüller traîne derrière lui un lourd passé : accusé de relations coupables avec de jeunes enfants alors qu’il occupe des fonctions à la Thomasschule de Leipzig et à la Cour d’Altenbourg, il est emprisonné en 1655, avant de quitter l’Allemagne ; il y reviendra cependant en toute fin de vie, à Wolfenbüttel où il sera musicien à la Cour. Ses compositions se partagent entre la musique instrumentale et la musique vocale profane et sacrée. Il poursuit la tradition de ses prédécesseurs Schütz, Schein et Scheidt, et prolonge l’influence de Praetorius à travers une création de motets qui sont encore l’écho d’une écriture spirituelle sévère tournée vers le madrigal. Sa production a bénéficié d’un grand prestige en Allemagne, de son vivant et bien au-delà de sa disparition. Telemann le citait parmi ses modèles. Son séjour en Italie permit à Rosenmüller d’ajouter à sa production une coloration liée à celle des maîtres vénitiens de la deuxième partie du XVIIe siècle. 

Les œuvres du présent CD sont extraites de plusieurs recueils ; deux d’entre elles proviennent notamment des Kern-Sprüche pour voix, cordes et basse continue, parus en deux éditions à Leipzig, en 1648 puis en 1652. Elles s’inscrivent dans la tradition de Schütz, avec une forme simple qui n’est pas sans rappeler les Symphoniae sacrae de ce compositeur que l’on surnommait « l’Orphée de Dresde ». Il s’agit de pièces brèves (Siehe an die Werke Gottes et Daran ist erschienen die Liebe Gottes) qui exaltent les œuvres de Dieu envers lequel on exprime sa reconnaissance. Elles ouvrent et clôturent un programme varié où sont insérées des pièces à influence italianisante, comme Vater, ich habe gesündiget, aux accents dramatiques, d’après un texte de l’Evangile de Saint-Luc, ou Was stehet ihr hie, d’après la Parabole des ouvriers chez Saint-Matthieu, où l’on perçoit des échos des oratorios et des opéras découverts à Venise, mais aussi des accompagnements instrumentaux qui font penser à Carissimi et à ses cantates. S’il est sobre et mesuré, l’accompagnement, chez Rosenmüller, est cependant ornementé, violon, alto, cornet, trombone, basson, cithare ou orgue occupant souvent un terrain sur lequel les voix trouvent leur souple décor mélodique, dans une polyphonie séduisante et recueillie. Rosenmüller ne néglige pas non plus la poésie, le morceau le plus long de la présente anthologie, d’après un auteur anonyme, étant, par le biais de la nature, une nouvelle exaltation de la puissance de Dieu et de son éternité. Une Sonate pour deux violons et basson a été glissée en cours de route ; elle est datée de 1682, la période où le compositeur regagne l’Allemagne après plus de vingt-cinq ans d’exil. Virtuose, elle est, elle aussi, très influencée par l’expérience italienne. 

Les solistes et les instrumentistes sont à la hauteur de cette musique parfois austère, dont la beauté profonde ne se dégage qu’après plusieurs auditions. Les six chanteurs s’investissent dans l’émotion et le sens religieux, unissant leurs forces avec un grand sens des nuances, sans excès mais avec ferveur, s’inscrivant dans un contexte qui unifie les expressions tout en leur conférant leur part de dévotion. Les ténors Hermann Oswald et Michael Schaffrath sont à cet égard exemplaires. Mais les autres solistes sont à saluer, tout comme les instrumentistes, rompus à ce type de musique. Cet enregistrement, réalisé dans une église luthérienne de Leipzig en novembre 2000, semble, sauf erreur, avoir déjà fait l’objet d’un CD paru en 2005 sous le même label Christophorus (CHR 77227). Rosenmüller est bien servi par le disque : on trouve maints enregistrements chez Archiv, Vivarte ou encore CPO, mais cette réédition (ce qui n’est pas précisé sur ce nouveau CD), est une belle initiative que le meneur de jeu Arno Paduch porte avec soin et intelligence.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 8

Jean Lacroix 

 

    

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