Pietari Inkinen poursuit son cycle Dvorak à Saarbrücken : plénitude et relief dramatique
Antonín Dvořák (1841-1904) : Symphonie no 7 en ré mineur Op. 70. Symphonie no 8 en sol majeur Op. 88. Deutsche Radio Philharmonie, direction : Pietari Inkinen. Livret en anglais, allemand. Septembre 2021, septembre 2022. 74’21''. SWR»music SWR 19130CD
Après un cycle Sibelius mené chez Naxos, Pietari Inkinen s’est aventuré dans un autre corpus, celui de Dvořák. Poursuivant l’enregistrement des symphonies 2 et 6, jouxtées par quelques pages orchestrales, le présent volume propose une paire qui reste la plus notoire et la plus souvent enregistrée, après bien sûr la célébrissime et ultime « Nouveau Monde ». Alors que l’on a appris que le chef finlandais ne prolongera pas son contrat avec la phalange de Saarbrücken, l’on peut se demander si le projet sera achevé ou non.
Nos colonnes avaient déjà rendu compte de l’approche plutôt germanisante défendue par le maestro, alourdissant la trame et oblitérant les ingrédients folkloriques. Cette nouvelle parution ne contredit pas ce constat, et convient diversement aux deux œuvres. L’Allegro maestoso et le Final de l’opus 70 sortent indéniablement grandis par cette approche autoritaire, avec quelques moments à haute intensité dans les points névralgiques. À vrai dire, l’orchestre sarrois s’avère bien moins pesant et opaque que la Philharmonie de Berlin dans les témoignages de Rafael Kubelík (DG), moins carré que les troupes de Bamberg sous la férule de Fritz Lehmann (DG). Sur une trame nourrie mais lisible, la faculté de projection fait mouche dans l’Allegro con brio de la Huitième, dirigé avec fougue et impact. Les cordes répondent avec agilité voire virtuosité à ces énergiques sollicitations, les bois ne fondent pas leurs couleurs dans la pâte d’archets. Sans retrouver les arômes idiomatiques des orchestres tchèques, les textures s’avèrent plus fines et typées que sous le lustre de quelques armures de luxe, comme Christoph von Dohnányi à Cleveland (Decca), ou Carlo Maria Giulini à Chicago (DG, pour la no 8).
Certes les violons pourraient se montrer sensibles aux multiples inflexions dansantes qui se faufilent dans l’Adagio de l’opus 88, à l’instar de la souple nervure d’un Berliner Philharmoniker plus transparent qu’à l’accoutumée, inspiré par les desseins presque chambristes de Claudio Abbado (Sony). Mais la baguette de Pietari Inkinen sait y instiller des saillies qui en nourrissent le relief dramatique. En revanche, au revers de ce soin de caractérisation, les climats mélancoliques de l’Allegretto grazioso se trouvent quelque peu sacrifiés par des violons avares de cet indélébile lyrisme qu’exsudait par exemple le Concertgebouworkest sous l’égide de Colin Davis (Philips), ou le LSO d’Antal Doráti (Mercury). Dans le conclusif Allegro ma non troppo, le chef hongrois cravachait ses Londoniens avec une hargne qui n’a jamais été surpassée au disque. On ne reprochera pas au présent CD de ne pas égaler ce sommet quasi orgiaque, les pupitres s’en tirent même avec quelques impressionnantes foucades (la quatrième variation du Développement, électrisée par les trombones, 3’47-), mais la réexposition s’enlise ensuite dans des méandres velléitaires, avant certes d’asséner une fière démonstration de panache dans les dernières mesures.
Globalement, si l’on accepte cette optique aux tempos larges mais capables de s’animer et s’activer, et si l’on adhère à ce ton plus prussien que Mitteleuropa, cette interprétation fait mieux que convaincre. La plénitude du propos, la force des injonctions rythmiques, la saveur de la petite harmonie, l’enthousiasme collectif bien réel d’être ainsi galvanisé par un chef à fort tempérament, peuvent légitimement emporter l’adhésion. D’autant que les captations réussissent à conjoindre aération et densité.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 8,5
Pietari Inkinen