Premier album avec orchestre de la violoncelliste Anastasia  Kobekina 

par

Dmitri Chostakovitch  (1906-1975) : Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 op. 107. Mieczyslaw Weinberg  (1919-1996) : Fantaisie pour violoncelle et orchestre op. 52. Vladimir Kobekin (°1947) : Bacchants, pour violoncelle et orchestre. Anastasia Kobekina, violoncelle. Orchestre symphonique de Berne, direction Kevin John Edusei. 2018. Livret en allemand et en anglais. 52.41. Clavès 50-1901.

Née à Ekaterinenbourg, dans l’Oural, en 1994, Anastasia Kobekina, fille du pianiste et compositeur Vladimir Kobekin, joue du violoncelle dès l’âge de quatre ans ; sa première expérience avec orchestre a lieu deux ans plus tard. Elle effectue ses études à l’Ecole centrale de musique de Moscou, en Allemagne, à la Kronberg Academy avec Frans Helmerson, puis à Berlin. Elle se perfectionne au Conservatoire de Paris avec Jérôme Pernoo et à Francfor pour le violoncelle baroque, avec Kristin von der Goltz. Lauréate de plusieurs concours internationaux, elle a remporté la médaille de bronze au XVIe Concours International Tchaïkowski de 2019. Si elle se produit avec maints orchestres, elle est aussi très attirée par la musique de chambre. Sa prestation en France lors d’un festival à Auvers-sur-Oise a entraîné la publication d’un premier CD où elle joue Miaskowski, Franck et Strawinski avec la pianiste Paloma Kouider. Son père compose pour elle depuis longtemps ; elle a enregistré avec lui une série de courtes pièces pour violoncelle seul ou avec piano. Ce CD dévolu à un répertoire russe est le premier disque avec orchestre d’Anastasia Kobekina.

Cette jeune artiste, qui fait partie de la nouvelle génération montante au tempérament généreux, n’a pas choisi la facilité pour cette première production. Ecrit à l’intention du jeune Rostropovitch qui en a laissé une dizaine de versions, le Concerto n° 1 de Chostakovitch est devenu l’un des chevaux de bataille du répertoire du violoncelle. Il demande une technique d’archet très sûre et diversifiée, une qualité d’intonation et un engagement permanent. Des qualités que possède à coup sûr cette artiste au jeu subtil et ample. Dans l’Allegretto initial, elle apporte la part de légèreté et d’animation nécessaires, et le dialogue avec le cor offre de beaux moments. Mais le Moderato pèche par un manque de chant et une expressivité qui semble contenue ; Kobekina ne donne aux accents dramatiques qu’une coloration fragile, comme si l’effort qu’elle impose à son Guadagnini lui en coûtait physiquement. L’impression est évanescente, heureusement vite rachetée par une Cadence que la soliste investit et par un Allegro con moto final enlevé avec exubérance. Kobekina ne s’inscrit pas dans la discographie du concerto de façon marquante, d’autant plus que l’Orchestre Symphonique de Berne, dirigé par le chef Kevin John Edusei, d’ascendance ghanéenne par son père et allemande par sa mère, ne lui apporte qu’un soutien insuffisamment saillant. Il est certain que la jeune soliste reviendra à la superbe partition de Chostakovitch, dont elle ne modifie pas les références.

Cet enregistrement, effectué en septembre 2018 dans la Diaconis-Kirche de Berne, propose aussi la Fantaisie de Weinberg, partition de 1953 à l’incomparable beauté mélodique, primitivement conçue pour violoncelle et piano. Ici, Anastasia Kobekina nous laisse vraiment sur notre faim. Le tempo global est étiré à l’infini et la soliste semble confondre langueur et lenteur. Elle confère à cette partition nostalgique et raffinée un contexte édulcoré et décharné qui donne une sensation de sécheresse. Dans un album paru en 2017, Melodiya nous avait rendu la version de 1970 signée par Alla Vasilieva avec l’Orchestre de Chambre de Moscou dirigé par Rudolf Barshai, indiscutable référence historique poignante, sinon angoissante, mais aussi sarcastique et ironique, avec une verdeur instrumentale accentuée par une prise de son âpre. Si Rafael Wallfisch allait dans le même sens que Vasilieva avec l’Orchestre Symphonique de Kristiansand confié à Lukas Borowicz, sans retrouver le même mordant, Claes Gunnarsson, pour Chandos, avec le Symphonique de Göteborg, mené par Thor Svedlund, un habitué de Weinberg, apportait à cette Fantaisie une densité à laquelle Kobekina ne peut prétendre. Son violoncelle chante pourtant en dessinant des arabesques délicates, et l’échange qu’il entame avec d’autres instruments est marqué par un cheminement empreint de rêverie, mais celle-ci est bridée. Kobekina s’égare, jusqu’à la perte de sens. Elle gomme ainsi un côté ludique que Vasilieva traduisait avec plus d’acuité, et Gunnarsson avec plus d’intensité. Le jugement peut paraître sévère, mais la déception est à la mesure de l’attente. L’Orchestre Symphonique de Berne laisse toutefois respirer Kobekina comme elle le souhaite, se convertissant en une phalange qui lui laisse la priorité sonore (un effet de la prise de son ?), mais ne lui apporte pas la verdeur irremplaçable insufflée par Barshai.    

Pour compléter ce programme, Anastasia Kobekina propose, en première mondiale, une courte page de son père, Vladimir Kobekin, pour violoncelle et orchestre, écrite en 2018. Bacchants est un morceau à la consistance un peu creuse, un divertissement bruyant dans lequel les bois et la percussion font preuve de beaucoup d’entrain. La jeune femme se jette dans cette partition avec toute sa fougue et son enthousiasme, et aussi avec dévotion filiale. Même si l’on comprend l’hommage qu’elle veut rendre à son père, les œuvres de Chostakovitch et de Weinberg auraient mérité une compagnie plus consistante, d’autant plus que le minutage global du CD dépasse à peine les cinquante minutes. Cette première expérience avec orchestre nous laisse donc assez insatisfait. L’indéniable talent d’Anastasia Kobekina et les promesses qu’il suscite n’entraînent pas ici notre totale conviction ; nous attendons un futur et indiscutable témoignage de cette artiste à l’attrayant potentiel.

Son : 8  Livret : 7  Répertoire : 10 (Kobekin : 5) Interprétation : 7

Jean Lacroix    

 

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