Deux Dauvergne et demi ?

par

Antoine DAUVERGNE
(1713-1797)
Les Troqueurs
J. Azzaretti (Margot), I. Poulenard (Fanchon), A. Buet (Lubin), B. Arnould (Lucas)
Antoine DAUVERGNE
Gérard PESSON
(° 1958)
La Double Coquette
M. de Villoutreys (Clarice), I. Poulenard (Florise), R. Getchell (Damon)
Ensemble Amarillis, H. Gaillard (direction artistique), V. Cochard (chef de chant)
2015-2 CD 45' 01'' et 76' 33''-Texte de présentation et livret en français et anglais-chanté en français-NoMadMusic NMM017

Avec Egidio Duni, Pierre-Aleandre Monsigny et François-André Danican Philidor (et Favart pour les livrets), Dauvergne est l'un des pères fondateurs de l'opéra-comique, genre  appelé à devenir l'emblème de la musique française à travers toute l'Europe. Les Troqueurs, créé à la suite du succès de La Serva Padrona de Pergolèse (1752), est considéré comme l'un des premiers ouvrages relevant du genre de l'opéra-comique, malgré l'absence de dialogues, ici remplacés par des récitatifs. Le sujet est passablement osé (un échange de fiancées), et évoque autant Les Femmes vengées de Philidor (dont un enregistrement vient de paraître chez Naxos) que Cosi fan tutte, bien sûr. Musicalement, l'on en retire beaucoup de plaisir, l'inspiration mélodique de Dauvergne paraissant inépuisable - on s'en était déjà rendu compte lors de la découverte de sa tragédie lyrique Hercule mourant (Aparté). Les airs sont charmants, et les nombreux duos fort entraînants. Un exemple, celui, savoureux, entre  Lubin et Lucas, sur ces paroles édifiantes: Troquons troquons, changeons compère, point de façon, foin du notaire, tiens déchirons ce beau chiffon, troquons compère, rien n'est si bon. Comme toujours dans le monde de l'opéra-comique, les femmes se montrent les plus spirituelles, et tourneront leurs hommes en bourrique : leur victoire finale, vive et alerte, sera éclatante et nos deux compères se verront tout penauds. Tout cela est réjouissant et l'on comprend le grand succès de ces Troqueurs. On est surtout content de les retrouver au XXIème siècle, montrant une santé inaltérable, et bien défendus par des interprètes vocaux très en verve et soignant tant l'accent que le phrasé. Bravo aussi à l'Ensemble Amarillis, peu fourni (11 instrumentistes) mais pétillant.

On sera plus réservé sur le second CD. La Double Coquette est un curieux amalgame, concocté par le compositeur français Gérard Pesson à partir de La Coquette trompée, opéra-comique du même Dauvergne, créé en 1753, sur un livret de Charles-Simon Favart. Elève de Betsy Jolas et d'Ivo Malec, Pesson  respecte la partition originale, mais interfère avec 24 "additions", sur des textes de Pierre Alferi, à la demande de l'Ensemble Amarillis : "J'ai donc pénétré dans cette si belle musique d'Antoine Dauvergne en apportant mes meubles". Dès le long prologue de quasi 10 minutes, on est vite fixé : la musique est actuelle, oui, mais non dérangeante; elle respecte l'esprit du XVIIIème siècle sans le pasticher. Il y a quelques souvenirs de Messager, même de Copland. Il est parfois malaisé de dissocier sa composition de celle de Dauvergne, tant elle y colle. Mais elle peut donner une idée de ce que serait un opéra-comique en 2016. Car notre époque manque cruellement d'ouvrages lyriques d'un genre léger. Ceci dit, la constante alternance de styles fatigue un peu, et, en plus, on y perd le fil de l'intrigue. Il faut féliciter les chanteurs qui parviennent, sans peine dirait-on, à passer d'un compositeur à l'autre. Dans le genre "Dauvergne", Isabelle Poulenard brille dans l'air "Ces feux errants", et dans le genre "Pesson", Maïlis de Villoutreys se surpasse dans son air jazzifiant, et qui cite Carmen ("Damon n'est qu'un petit, un tout petit démon"). Quant à Damon (Robert Getchell), malgré un léger accent, il se montre très émouvant dans son air Deux beaux yeux ont-ils jamais tort ? de Dauvergne, air qui précède deux facéties de Pesson, la forlane de la haine réciproque, et le fugato de la zizanie irénique.  Tout se terminera, comme il se doit, en danses et chansons, et par un vaudeville au texte fripon.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 8 - Interprétation 8

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