Deux visages musicaux d’Erwin Schulhoff 

par

Erwin Schulhoff (1894-1942) : Concerto pour piano et orchestre n° 1 op. 11 ; Der Bürger als Edelmann, suite de concert pour piano, sept instruments à vent et batterie. Michael Rische, piano. WDR Sinfonieorchester Köln, direction Israel Yinon (concerto) ; Deutsches Symphonie- Orchester Berlin, direction Gerd Albrecht (suite). 1998/99. Notice en allemand et en anglais. 51.36. Hänssler Classics HC21042.

Né à Prague dans une famille juive, Erwin Schulhoff, considéré comme un enfant prodige, entre au Conservatoire de Prague dès ses dix ans, sur la recommandation d’Antonín Dvořák. A quatorze ans, on le retrouve à Leipzig où il étudie le piano avec Robert Teichmüller, un élève de Carl Reinecke, et la composition avec Max Reger, avant de poursuivre sa formation à Cologne. Il reçoit aussi en 1913 quelques leçons de Debussy. Incorporé pendant la Première Guerre mondiale dans l’armée autrichienne, il est blessé au combat. Après le conflit, s’ensuivent des concerts dans toute l’Europe, et une activité de pédagogue à Prague. Sympathisant communiste engagé (en 1932, il mettra en musique le Manifeste de Karl Marx), il participe à des congrès en Russie. Attiré par l’avant-garde artistique, notamment par le mouvement dadaïste, il découvre aussi le jazz américain grâce au peintre George Grosz. Il est placé sur liste noire par les nazis dès 1933. L’obtention de la nationalité soviétique empêche son arrestation lorsque la Tchécoslovaquie est envahie en 1939, mais lorsque Hitler déclare la guerre à la Russie en 1941, il est déporté malgré ses tentatives de passer à l’Est. Il mourra de la tuberculose au camp de Wülzburg un an plus tard. Schulhoff laisse une œuvre abondante : de la musique concertante et orchestrale (huit symphonies, dont la dernière est inachevée), de la musique de scène et de chambre, des pages vocales et des pièces pour piano.

Son catalogue comprend deux concertos pour piano, l’opus 11 de 1913/14, et l’opus 43 de 1923. Ce deuxième est destiné au clavier accompagné d’un petit orchestre, qui contient un final basé sur le jazz, et qui a fait l’objet d’un bel enregistrement de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège sous la direction de Louis Langrée, avec Claire-Marie Le Guay au piano (Accord, 2004). Michael Rische (°1962) l’a également enregistré pour Arte Nova en 2003, avec des pages de Gershwin et Antheil célébrant le jazz. Sa présente gravure du premier concerto, l’opus 11, date d’octobre 1998. Il s’agit d’une partition en trois mouvements, qui se situe entre romantisme et atonalité, une œuvre qui est celle d’un compositeur en recherche de sa spécificité. Schulhoff a à peine vingt ans, il se souvient des leçons de Max Reger, et ouvre son concerto par des cordes à l’unisson, le piano s’installant dans un climat qui n’est pas virtuose mais plein d’élasticité. Le bref mouvement central, Langsam und getragen, qui contient un échange avec des vents (deux clarinettes, deux bassons, deux cors), comprend aussi un solo d’alto. Le Rondo final, dont l’agitation légère est soudain mise en retrait par un passage langoureux, s’achève dans une atmosphère pleine de juvénilité. On peut préférer à la version de Michael Rische celle de Jan Simon qui, avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Prague (Supraphon, 1994, avec les deux concertos) choisissait des tempi plus enlevés. L’œuvre, peu jouée, est en tout cas, à découvrir. On notera que la Philharmonie de Cologne est placée sous la direction d’Ysrael Yinon (1956-2015), qui décéda en plein concert à Lucerne, en dirigeant la Symphonie des Alpes de Richard Strauss.

La suite du Bourgeois gentilhomme en complément de programme, apparaît comme une partition bien plus remarquable. Il s’agit d’une commande de 1926 pour le Théâtre National de Prague, qui montait la comédie de Molière mais préféra une composition d’un contemporain à la musique de Lully. Le spectacle ayant rencontré le succès, Schulhoff décida deux ans plus tard d’adapter la musique sous la forme d’une suite pour piano, sept instruments à vent et percussion, dont la première fut donnée en octobre 1928, Schulhoff étant au clavier et Hermann Scherchen à la direction. L’orchestration est originale, pleine d’inventivité et d’imagination, et montre l’attrait de Schulhoff pour le ragtime et le jazz. On prend beaucoup de plaisir à écouter cette partition au sein de laquelle les vents et la percussion font preuve d’incisivité et de caractère. On notera un foxtrott bien rythmé et irrésistible avec trompette, hautbois et xylophone, ainsi que la séquence de danses du grand ballet final, qui font passer un réel moment de plaisir musical. Si Richard Strauss, dans la suite du même nom optait pour le néoclassicisme, Schulhoff penche plutôt vers l’ambiance de Petrouchka de Strawinsky que l’on évoque spontanément lors de moments qui semblent sortis de la commedia dell’arte. Le piano de Michael Rische, tout en couleurs vives, est omniprésent tout au long de cette partition brillante dont la présence régulière au concert entraînerait à coup sûr l’adhésion. Sous la baguette de Gerd Albrecht (1935-2014), les membres du Deutsches Symphonie-Orchester Berlin sont à l’aise dans cette gravure effectuée les 21 et 22 novembre 1999, qui a été déjà disponible chez Orfeo dans sa série « Musica rediviva ». 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 8 (concerto) ; 10 (suite)

Jean Lacroix 

 

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