"Dixit" selon Maurice Béjart

par
Béjart

© Lauren Pasche

Sur un large écran qui occupe le fond de scène, un garçon timide observe son père qui préfère se concentrer sur son livre plutôt que partager le repas familial. L’on frappe à la porte… « Va ouvrir, Maurice ! ». La surface de projection s’élève dans les cintres, nous révélant un passage identique que franchit le jeune Berger dit Béjart incarné ici par le danseur Mattia Galiotto qui lui ressemble étrangement.

Ainsi commence ‘Dixit’, le nouveau spectacle du Béjart Ballet Lausanne imaginé par le cinéaste Marc Hollogne, alliant l’image filmée à de réels tableaux chorégraphiés, afin de constituer une sorte de cinéma-danse-théâtre de nonante minutes. Durant l’année 1993, le réalisateur avait tourné de longues séquences d’où se dégageait le minutieux travail d’élaboration d’un ballet que réglait un Béjart exigeant, déclarant : « « Une création n’existe que pour nourrir celles à venir ». Dix ans après la disparition de ce démiurge, le metteur en scène porte un regard neuf sur les trente ans d’existence du BBL et sur son activité trépidante ; mais délibérément, il s’attarde sur quelques figures charismatiques telles que Diaghilev ou Molière qui ont laissé une empreinte indélébile sur la sensibilité de l’artiste en formation. Le comédien du « français » personnifiant Alceste du ‘Misanthrope’, campé par Marc Hollogne lui-même, dialogue avec la voix enregistrée de Maurice, tandis que la danseuse Kathleen Tielhelm se pare de grâce ingénue pour dessiner Célimène. Sur écran paraît Jasmine Cammarota redonnant vie à Juliette dans la lecture dansée que Béjart avait donnée de l’opus 17 d’Hector Berlioz. Dans une perspective parfois insolite sont proposées pêle-mêle tant ses chorégraphies marquantes que celles de Gil Roman qui s’inscrivent dans son sillage ; et lui-même reprend collant et chaussons pour dialoguer avec Kathleen Tielhelm, tandis que les deux figures emblématiques de la compagnie, Julien Favreau et Elisabet Ros, livrent un duo empreint de nostalgie. Qui a en mémoire les conceptions originales a la surprise de voir se succéder divers extraits caractéristiques présentés sous un angle novateur : tel est le cas du’ Quatuor’ d’Anton Webern ou des deux finales du ‘Sacre du Printemps’ où apparaissent les deux élus (Alanna Archibald et Fabrice Gallarague). Sous un coloris plus chatoyant miroitent une page de ‘La Flûte enchantée’, la dernière section du ‘Boléro’ ou la Danse infernale de Katchéi dans ‘L’Oiseau de Feu’. Alors que se profile l’ombre de Goethe personnifié par Guy Zen Ruffinen, ressuscite le mythe de Faust magnifié par Liszt dans son ‘Rêve d’amour’ et sa ‘Méphisto-Valse’ orchestrée. Les danseurs sont porteurs de l’émotion profonde que suscitent tant la voix d’Edith Piaf que celle du soprano solo (Carole Rey) dans une page tirée du ‘ Libera me’ de la Messa da Requiem de Giuseppe Verdi ou l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler.
Au terme du spectacle, comme dans la séquence finale de la Neuvième de Beethoven, la troupe se regroupe en fond de plateau et avance inexorablement, tandis que crépitent les vrilles d’applaudissements d’un public debout, manifestant bruyamment sa joie.
Paul-André Demierre
Lausanne, Théâtre de Beaulieu, le 22 décembre 2017

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