Un Poulenc qui pétille, un Béjart qui grince

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L’Opéra de Lausanne poursuit sa brillante saison en juxtaposant ‘Les Mamelles de Tirésias’ dans la mise en scène d’Emilio Sagi et ‘La Gaîté Parisienne’ dans la chorégraphie de Maurice Béjart.
« Donnez-moi du lard ! » assène continuellement le Mari au début des ‘Mamelles de Tirésias’. Et du bon gras, nous en avons à foison dans la production délirante d’Emilio Sagi, se déroulant dans les décors de Ricardo Sanchez Guerda, les costumes de Gabriela Salaverri et les lumières d’Eduardo Bravo.

Un loft avec cabinet de douche (fréquemment utilisé) et chambre à coucher est surmonté d’un promontoire où paraissent, en signe prémonitoire, de gigantesques coquilles d’escargot et où s’accumuleront les quelques quarante mille enfants engendrés par l’époux devenu femme. Et Thérèse laisse ses mamelles de plastique rose s’envoler comme des ballons pour devenir le député Tirésias, avant de prendre les traits de la cartomancienne qui réajustera l’équilibre des natalités. Sur talons hauts, Régis Mengus brûle les planches en campant le conjoint qui assume son changement de sexe, surtout lorsqu’il doit subir l’assaut enflammé du gendarme de Guillaume Paire, bien plus convaincant que dans le prologue où la tessiture du directeur malmène ses aigus. Céline Mellon joue de drôlerie pour passer de Thérèse à Tirésias puis à la cartomancienne aux mélismes hispanisants. Stuart Patterson est aussi cocasse en journaliste logorrhéique qu’en Lacouf ivrogne en duo avec le Presto hirsute de Jérémie Brocard. Marina Viotti a les accents péremptoires de la marchande de journaux, Louis Zaitoun, la naïveté bavarde du fils face au peuple de Zanzibar assumé crânement par le Chœur de l’Opéra de Lausanne proclamant en conclusion : »Faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère ! ». Et le chef Daniel Kawka mène tambour battant un Orchestre de Chambre de Lausanne qui présente ensuite la version Manuel Rosenthal de ‘La Gaîté Parisienne’.
Dans sa chorégraphie présentée à La Monnaie de Bruxelles en janvier 1978, Maurice Béjart y avait incorporé une voix féminine (en l’occurrence Marina Viotti) personnifiant la statue de Terpsichore et la chanteuse des rues. Mais que tout cela a mal vieilli ! Dans un salon hausmannien imaginé par Thierry Bosquet, six danseurs esquissent quelques entrechats ponctués par le son d’une horloge. Et l’on s’ennuie ferme jusqu’à ce que pointent le jeune Bim, magistralement incarné par Masayoshi Onuki, et ses copains prenant à parti le rigide professeur de danse d’Elisabet Ros ; ses espiègleries sont cautionnées par l’Offenbach ébouriffant de Mattia Galiotto qui réussit à faire virevolter l’action en suscitant finalement l’intérêt du spectateur. Et l’on se prend à la fantasmagorie où se dessinent le Napoléon III de Michelangelo Chelucci, l’impératrice Eugénie de Valerija Frank, le Louis II de Bavière de Julien Favreau et même la Comtesse de Ségur de Jaym O’Esso.
Paul-André Demierre
Opéra de Lausanne, le 17 janvier 2016

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