Dossier Puccini (III) : Puccini et les femmes

par

Nouvelle étape de notre dossier Puccini avec un article d'Erna Metdepenninghen sur le compositeurs et les femmes.

La première femme qui a joué un rôle important dans la vie de Puccini est sa mère, Albina Magi-Puccini. Giacomo était son préféré et un lien très fort unissait la mère et le fils. Toute sa vie, Puccini a parlé de sa mère avec beaucoup de tendresse et leur relation a marqué la psychologie de l’artiste.

La seconde était Elvira Gemignani, née Bonturi, l’épouse d’un ancien ami d’école et mère de deux enfants qui, à l’âge de vingt-quatre ans, quitta son mari pour vivre avec Puccini à Milan et qui, après la mort de son mari, devint officiellement Madame Puccini. Il semble que la jeune Elvira ait été une vraie beauté, une apparition imposante, mais elle ne jouissait pas du caractère ensoleillé qui aurait pu adoucir ses traits sévères. On s’accorde à dire qu’elle n’était pas facile à vivre, obstinée, assertive, entêtée et très consciente de sa position de femme d’un homme célèbre. Ses réactions étaient souvent imprévisibles et ses remarques blessantes. Les pêcheurs superstitieux de Torre del Lago étaient d’ailleurs convaincus qu’elle avait “le mauvais oeil”. Elle n’avait jamais pu se détacher de ses origines petites-bourgeoises comme Puccini l’avait fait ; elle avait l’esprit étroit et ne semblait intéressée que par son ménage. Elle était une épouse fidèle et une mère dévouée que ses enfants adoraient, surtout Tonio, le fils qu’elle eut avec Puccini. Il est vrai que son rôle d’épouse n’était pas aisé car, malgré ses multiples qualités charmantes, le compositeur était un homme avec qui il était difficile de vivre au quotidien. Puccini n’était pas du tout enclin à faire d’Elvira une vraie partenaire de sa vie créative ; et puis, il y avait ses multiples aventures amoureuses et la jalousie maladive d’Elvira.

Une lettre de Puccini datée du 30 août 1915 témoigne de cette jalousie : Tes soupçons t’inspirent les investigations les plus indignes. Tu inventes des femmes pour assouvir ton instinct de policier. Tout te paraît sérieux, grand et important tandis que ce n’est rien, négligeable... Tu n’as jamais regardé ces choses comme le font d’autres femmes qui sont plus raisonnables... Tu t’imagines des relations importantes. En réalité, ce n’est rien d’autre qu’un sport que tous les hommes pratiquent dans une certaine mesure sans pour cela sacrifier la chose sérieuse et sacrée : la famille... Ne me pousse pas à haïr ma maison mais, au contraire, que j’y trouve joie et calme au lieu de cette irritation continue et décourageante... La femme d’un artiste a une autre tâche que les femmes d’hommes ordinaires. C’est quelque chose que tu n’as jamais voulu comprendre. Oui, tu ricanes même quand le mot “art” est prononcé. Cela m’a toujours offensé et cela continue à m’offenser. Moi, plus que toi, je cherche la paix. Mon ambition est de mener et finir avec toi une vie qui aurait été moins difficile si tu avais vu plus clair et avais eu plus de bon sens. Au revoir. Je t’embrasse. Reste calme. Attends-moi. Je serai toujours ton Topizio (Topizio, “petite souris”, était le petit nom tendre que Giacomo utilisait dans les premiers jours de leur idylle, comme “Topizia”).

Est-ce que Manon, Mimi, Cio Cio San, Floria, Magda, Minnie, Angelica, Liu... étaient des femmes qui inspiraient de l’amour à Puccini ? « Je ne suis qu’une pauvre petite fille obscure et bonne à rien » : c’est ainsi que Minnie se caractérise dans La Fanciulla del West. Cette définition est en somme valable pour toutes les héroïnes de Puccini. Dans un sens, elle se ressemblent toutes, bien qu’ayant chacune un profil individuel bien défini. Ce qu’elles ont en commun, c’est de ne pas avoir vraiment une place dans la société. Il y a les “filles légères” qui sont les plus nombreuses : Manon, Mimi, Musetta, Butterfly et Magda, l’héroïne de La Rondine. Puis il y a Liu, une petite esclave et donc un « être inférieur ». Floria Tosca est une cantatrice fêtée mais qui vit “dans le péché“ avec Cavaradossi. De plus, elle est une artiste, donc suspecte aux yeux du bourgeois conventionnel. Et que dire de Minnie, pure et noble mais qui fréquente de rudes chercheurs d’or et triche aux cartes ? Giorgetta (Il Tabarro) est originaire d’une banlieue parisienne ordinaire et trompe son mari ; et Angelica, la religieuse, appartient bien à une famille noble mais en a souillé le blason en mettant au monde un enfant illégitime.

Aucune de ces femmes ne peut se mesurer à la mère que Puccini révérait. Mais c’est peut-être parce qu’elles sont qui elles sont que Puccini les aimait, qu’il pouvait pénétrer leur monde et s’y intégrer, écrire pour elles sa musique la plus inspirée, poétique et émouvante. Mais bien qu’il donne à ses héroïnes -qui aiment jusqu’au sacrifice- des traits tendres, gentils et enfantins, il les a toutes fait souffrir. Toutes les héroïnes de Puccini souffrent d’une mélancolie particulière, pathétique, et l’autodestruction est parfois présente dès le début, comme chez Butterfly ou Liu. Cette dernière est l’expression ultime de l’idéal puccinien : l’amour humble, désintéressé, loyal, soumis mais courageux quand il est mis au défi.

Erna Metdepenninghen

Dossier Puccini (I) : la modernité du compositeur

 

 

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