Double affiche symphonique avec Jaap Van Zweden à Hong Kong

par

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°10 en fa dièse majeur (version Mengelberg/Dopper) ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°10 en Mi mineur. Hong Kong Philharmonic Orchestra, Jaap van Zweden. 2019. Livret en anglais. 81’56’’. 8.574372. 

Cette parution est un petit évènement en soi car elle propose la première au disque de l’édition Mengelberg/Dopper de la Symphonie n°10 de Mahler, du moins de “l’Adagio” et du”Purgatorio” (qui sont le premier et le troisième mouvements de cette oeuvre). 

Pour bien comprendre les enjeux de cette édition, un rappel historique est nécessaire. Mahler décéda alors qu’il composait sa Symphonie n°10 qui est donc inachevée, et les éditions "complètes" jouées actuellement sont des travaux de compositeurs ou de musicologues. 

Alma Mahler, la veuve de Mahler, ainsi que les compositeurs Ernst Krenek et Alban Berg, avaient conclu que les mouvements "Adagio" et "Purgatorio" étaient assez complets pour être joués. Alma Mahler souhaitait que Willem Mengelberg, l’un des plus fidèles soutiens du compositeur, dirige la première mondiale. Cependant, la création se déroula à Vienne le 12 octobre 1924, avec l'Orchestre Philharmonique de Vienne sous la direction de Franz Schalk. Mais le chef néerlandais au pupitre de son Concertgebouw d’Amsterdam, put programmer, quelques semaines plus tard, des concerts à Amsterdam, Arnhem et Rotterdam (novembre et décembre 1924). 

Les concerts de la première néerlandaise furent  soigneusement préparés dans le cadre d'une collaboration entre Willem Mengelberg et Cornelis Dopper. Dopper était chef d'orchestre adjoint de l'Orchestre du Concertgebouw et également compositeur. Sa tâche consistait à préparer des œuvres nouvelles avec l'orchestre, de sorte que Mengelberg n'avait plus qu'à apporter la touche finale.

Pour les deux mouvements de cette Symphonie n°10, le processus fut un peu différent, car Alma Mahler avait donné à Mengelberg la liberté de modifier  le texte musical comme il le souhaitait. La partition de Mengelberg témoigne du fait qu'il a profité de cette liberté. 

Mengelberg a fait faire une copie de la partition et du matériel d'exécution utilisé par Franz Schalk, pour lui-même ainsi que des parties séparées. Les modifications de Mengelberg ne se limitent pas à doubler ou à renforcer certaines parties. Ici et là, dans le Purgatorio, le chef a "composé" des parties supplémentaires. De même, dans les deux mouvements, il a noté des modifications brutes d’instrumentation qui ont ensuite été élaborées en détail par Dopper et ajoutées à la partition, par exemple pour les percussions.

Le musicologue Rudolph Stephan a noté (en 1986) que Mengelberg a en fait réalisé sa propre transcription de l'œuvre, qu'il a également corrigé des aspects qui ne se trouvaient pas dans la partition du chef d'orchestre de Schalk. Mengelberg a dû tirer ses corrections du fac-similé publié par Zsolnay juste avant la création viennoise.  

L'édition moderne de cette partition a été rendue possible par la Willem Mengelberg Stiftung (Suisse) et réalisée par le musicologue Marinus Degenkamp, et le matériel est édité par la maison allemande Schott. Elle est ici proposée en première mondiale par Jaap van Zweden et ses musiciens de Hong Kong.

Le chef d’ochestre néerlandais impose une lecture puissante qui s’appuie sur un collectif impressionnant tant dans les tutti que dans les individualités. Cette édition sonne plus massivement que les lectures décantées et filandreuses des autres chefs de notre époque. Du fait des particularités liées à cette édition, il est impossible de la situer dans la discographie : elle est à plusieurs niveaux unique ! 

Le complément est intelligent avec la puissante Symphonie n°10 de Chostakovitch proposée dans une vision très romantique et brassée, proche comme jamais du tragique et de l’épique qui sont la base de l’univers mahlérien. A ce titre, le dernier mouvement est très réussi par la noirceur des teintes et la violence des contrastes. Chapeau bas à la prestation magistrale du Philharmonique de Hong Kong encore très impressionnant dans sa précision, son engagement et son impact avec des teintes sombres et des dynamiques tranchantes. 

La prise de son est dense et donne une image globale qui convient à la vision défendue par le chef. 

Un disque passionnant tant au niveau éditorial que par sa cohérence et sa vision artistique. Au prix habituel des albums Naxos,  c’est évidemment une aubaine.  

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.