Double Chostakovitch avec violoncelle et alto

par

Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Sonate pour violoncelle et piano, Op. 40, Sonate pour alto et piano, Op. 147, Prélude, Op. 9.  Duo Anouchka Hack (violoncelle) et Katharina Hack (piano), Gautier Capuçon (violoncelle)*2020.64’42.Textes de présentation en anglais et allemand. Genuin  GEN 20701. Veit Hertenstein (alto), Minze Kim (piano). 2020-ADD-62’03-Textes de présentation en allemand et anglais- Hänssler Classic HC 20011

Chostakovitch ayant écrit une sonate pour violoncelle et piano et une autre pour alto et piano, il suffit de transcrire la première pour alto et la seconde pour violoncelle, et voici le répertoire de chacun de ces instruments, dont on rappellera que les cordes sont accordées de façon identique bien qu’à une octave de différence, enrichi d’une oeuvre majeure.

C’est bien ce qu’ont dû se dire -très certainement chacun de son côté- les interprètes de ces deux nouveaux enregistrements qui intéresseront a priori les amateurs d’alto et de violoncelle (les bonnes gravures des oeuvres originales ne manquent pas), mais aussi tous ceux qui aiment voir de jeunes talents se confronter à des oeuvres exigeantes.

Plutôt que de procéder à une comparaison point par point de ces deux versions, le plus simple sera de les examiner l’une après l’autre.

Nous commencerons par les soeurs Anouchka et Katharina Hack. Il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’on est en présence d’un véritable duo impliquant deux instruments sur pied d’égalité dans un subtil et incessant dialogue : le violoncelle ne cherche pas à tirer la couverture à lui pas plus que le piano n’écrase le magnifique instrument vénitien de Bartolomeo Tassini (1769) utilisé ici. Leur approche de la Sonate pour violoncelle frappe à la fois par le naturel et par la maîtrise d’une interprétation paradoxalement aussi spontanée que réfléchie, privilégiant la cohérence de la ligne et de la pensée plutôt que de traquer l’émotion supposée se cacher derrière chaque note. Cette conception sobre et équilibrée étonnera dans doute ceux qui attendent ici de l’ironie mordante dans les mouvements rapides et une douleur poignante dans les mouvements lents. Paradoxalement, ce parti-pris d’équilibre, voire de légère retenue dans l’expression n’a rien de réducteur : il ne rend aucunement la musique lisse et fade mais la sort d’une grille de lecture « authentique » qui remonterait au compositeur lui-même pour l’insérer fermement dans une tradition plus classique, en un mot « occidentale ». On pourra regretter que le deuxième mouvement, Allegro (en fait, un scherzo), manque un peu du mordant qu’on aimerait y trouver, mais il est impossible de contester la fermeté et l’intelligence du propos. Le Largo est interprété avec un superbe alliage d’intelligence et d’instinct par les soeurs Hack qui ont pleinement la mesure de la musique. Le Finale est abordé avec plus d’élégance que d’ironie. On admire le naturel et l’aisance des interprètes, avec une violoncelliste très sûre dans la conduite de la mélodie et faisant preuve d’une belle maîtrise de la couleur, et une pianiste à la fois ferme et sensible qui n’hésite pas à prendre ses responsabilités quand la partition le demande.

Dans l’adaptation pour violoncelle (signée par le grand violoncelliste Daniil Shafran) de la Sonate pour alto et piano, ultime oeuvre du compositeur, les interprètes confirment d’abord les options esthétiques précédemment retenues. Il se peut donc que le premier mouvement paraisse à certains trop lisse et pas assez torturé (on pourrait dire : trop européen et pas assez russe), mais les talentueuses Allemandes abordent l’Allegretto médian (là aussi en fait un scherzo) avec énormément de caractère et un sens du grotesque véritablement gogolien. Les coups de griffes des soeurs Hack sont magnifiques, et elles réagissent au quart de tour aux changements d’atmosphère kaléidoscopiques voulus par le compositeur. Le Finale s’ouvre sur des pizzicatos désincarnés du violoncelle, avant que le piano ne gronde doucement en évoquant le premier mouvement de la Sonate au Clair de lune, Op. 27 n° 2, de Beethoven. Dans cet Adagio où la musique est, par un exigeant processus de décantation, ramenée à l’essentiel, les soeurs Hack trouvent infailliblement le ton juste dans une interprétation qui se débarrasse du superflu comme on le ferait d’oripeaux devenus sans importance. Après cet exigeant programme, l’auditeur se voit offrir un délicieux moment de détente sous la forme du Prélude extrait de la musique du film Le Taon (1955), adapté à l’origine pour deux violons et piano par Lev Atomyan et offert ici dans une version pour deux violoncelles et piano. Avec la collaboration de rien moins que Gautier Capuçon, cela nous vaut 2 minutes et 32 secondes d’enchantement.

On ajoutera pour terminer que le talent des interprètes est superbement mis en valeur par une prise de son de démonstration qui contribue, elle aussi, à faire de ce disque une vraie réussite.

Après l’exceptionnelle homogénéité du Duo Hack, l’enregistrement de l’altiste allemand Veit Hertenstein tient nettement du récital accompagné (indice: le musicien figure tout seul avec son instrument et en couleurs sur le boîtier du cd, la photo format en noir et blanc de la pianiste Minze Kim se trouvant sur l’avant-dernière page du livret). Comparée à la parfaite netteté de l’enregistrement Genuin, la prise de son est ici plus lointaine et feutrée. Dans la Sonate pour violoncelle (transcrite ici pour alto par Hertenstein lui-même), l’altiste allemand approche la musique de façon plus intime, avec une pianiste consciencieuse et appliquée mais qui, plutôt que de traiter d’égale à égal avec Hertenstein, se cantonne le plus souvent dans un rôle volontairement subordonné de sage accompagnatrice. Même s’il rend des points à Anouchka Hack en matière de subtilité, de fini sonore et de personnalité (en particulier dans un Allegro trop sage), Hertenstein fait preuve d’un jeu très pur, en particulier dans un Largo d’une belle sincérité, et se montre capable d’adopter par moments une sonorité crépusculaire, réduite à un souffle sur fond de piano désincarné. 

Il est nettement plus à l’aise dans la Sonate pour alto où, d’emblée, il trouve le ton juste, bien soutenu ici par le piano de Minze Kim, et les pizzicatos de la fin du mouvement sont vraiment parlants. 

Dans l’Allegretto, Hertenstein -qui opte pour un son assez décapant- se montre plus ironique et fin que véritablement mordant dans une interprétation marquée par un refus de toute séduction et qui gagne en caractère vers la fin du mouvement.

Dans l’Adagio final, Hertenstein fait d’abord preuve d’une émotion réelle bien que contenue. Dans l’énigmatique rappel à la Sonate au Clair de lune, l’altiste -bien soutenu par Minze Kim- parvient à exprimer une sourde douleur. Après un beau soliloque de l’alto, l’interprétation gagne progressivement en intensité avant de terminer sur une fin sobre, triste et digne.

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Son 8 - Livret 8- Répertoire 10 - Interprétation 7 (Op. 40), 8 (Op. 47)

Patrice Lieberman

 

 

 

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