Les Quatuors op. 33 de Haydn par les Chiaroscuro : le sceau de l’évidence

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Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuors à cordes op. 33 « Russes » n° 1 à 3 Hob. III : 37, 38 et 39. Quatuor Chiaroscuro. 2021. Notice en anglais, en allemand et en français. 60.44. BIS-2588. 

Après ses remarquables prestations dans les Quatuors de l’opus 76 de Haydn, dans les trois premiers de Beethoven op. 18, et dans les Quatuors prussiens de Mozart (nos articles des 28 février et 20 décembre 2021 et du 15 avril 2023), le très international Quatuor Chiaroscuro fondé en 2005 (la Russe Alina Ibragimova, l’Espagnol Pablo Hernán Benedí, la Suédoise Emilie Hörnlund et la Française Claire Thirion) nous mène à nouveau sur les traces de Haydn, celles des trois premiers numéros de l’opus 33 de 1781. A cette époque, le compositeur n’a plus abordé le genre depuis une dizaine d’années, en fait depuis son opus 20 (gravé aussi pour BIS par les Chiaroscuro). La notice rappelle qu’à la fin de cette première année de la décennie 1780, il écrit à ses souscripteurs que ses nouvelles œuvres vont être « d’un genre tout à fait nouveau et particulier, car je n’en ai pas composé depuis dix ans ». Il ne s’agit pas d’une lapalissade, car la vigueur dynamique, la légèreté bondissante, l’agilité virtuose, l’animation et le rythme, mais aussi le lyrisme et une absence de sophistication, vont être les constantes d’un ensemble que l’on peut qualifier de jouissif pour l’auditeur. Ces pages qui vont connaître un succès européen et auront une influence sur Mozart, reçoivent ici le surnom de « russes » (« Gli Scherzi » dans des éditions anciennes), car le premier quatuor, au moins, a été donné à la Noël de 1781 dans l’appartement viennois du Grand-Duc Paul de Russie, qui sera tsar en 1796 sous le nom de Paul Ier. Haydn dédiera ensuite l’ensemble au Grand-Duc.

« Un genre tout à fait nouveau et particulier », avait annoncé Haydn. Dans la biographie qu’il lui consacre (Fayard, 1988, p. 1087), Marc Vignal évoque, pour ces pages, leur allure légère et populaire, la rusticité des thèmes et leurs contours formels clairs. Dans la notice, Richard Wigmore insiste sur les idées qui semblent découler les unes des autres avec naturel, et cite l’allusion de Goethe parlant du quatuor comme « une conversation entre quatre personnes raisonnables ». Les Chiaroscuro, dont la fraîcheur de leurs instruments sur cordes de boyau fait merveille, vont au-delà du « raisonnable » en insufflant une vie pleine de contrastes et de joies multiples à ces superbes partitions. Ils justifient ainsi l’impact produit par l’esprit de comédie qui circule notamment dans les scherzos, qui remplacent les habituels menuets, avec une spontanéité jaillissante et une efficacité virtuose. 

Après le premier quatuor, en si mineur, dont le mouvement lent adopte ici une sorte d’apaisement, alors que l’Allegro initial et le Presto conclusif vivent de l’intensité des symphonies « Sturm und Drang », on se régale avec le deuxième, auquel le surnom de « plaisanterie » ou même de « blague » a été attribué. Dans ce pur divertissement dont le premier mouvement Allegro moderato pourrait donner raison à Goethe, le Scherzo, à la fois rustique et foisonnant, est le reflet d’une danse paysanne, avant un Largo aux couleurs ombrées. C’est dans le Presto final que l’inattendu s’installe ; il laisse le public comme dans un espace en suspension, qui justifie le côté de comédie ironique avec de fausses fins qui n’en sont pas avant que la véritable fin donne l’impression que le mouvement recommence (Bernard Fournier, Panorama du quatuor à cordes, Fayard, 2014, p. 56). Les Chiaroscuro s’en donnent à cœur joie dans cet amusant tour de passe-passe.

Le plaisir est aussi vif dans le Quatuor n° 3 qui virevolte avec ce premier violon pétillant et malicieux qui se révèle très vite au sein d’une animation lui ayant valu son surnom de « l’oiseau ». Le génie de Haydn, c’est d’avoir pu insérer la vivacité et la magie en même temps, ce que le Scherzo voile d’un caractère plus modéré, voire grave. L’Andante apaisé, puis le Rondo final, où l’on retrouve un esprit humoristique et décontracté, sont traduits par les Chiaroscuro avec une vraie capacité de jovialité, entre clin d’œil et couleur contrastée du discours. 

On sort vraiment ravi de l’audition de ces trois premiers volets de l’opus 33, qui appellent les trois autres par les mêmes interprètes dans un délai que l’on souhaite court. La discographie, pourtant abondante et même somptueuse (citons, liste non limitative, les Quatuors Panocha, Tatraï, Borodine, Mosaïques, Kodaly, Auryn ou Doric), est enrichie par cette remarquable prestation des Chiaroscuro, gravée dans un son lumineux, du 26 au 29 octobre 2021, dans la Salle de la Menuhin School de Stoke d’Abernon, dans le Surrey.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix      

Chronique réalisée sur base de l'édition SACD

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