Edward German, entre Shakespeare et amour de la nature

par

Edward German (1862-1936) : Richard III, ouverture ; Theme and Six Diversions ; The Seasons, suite symphonique. RTÉ Concert Orchestra, direction Andrew Penny. 1994. Notice en anglais. 65.30. Naxos 8.555219.

Après la réédition d’un album de musique légère d’Edward German (notre article du 14 septembre 2022), le label Naxos, qui a aussi proposé en 2009 une gravure intégrale de sa savoureuse opérette Tom Jones, propose un autre programme, déjà paru au milieu des années 1990 (Marco Polo 8.223695). Il est le bienvenu, car il permet d’approfondir ce compositeur d’origine galloise qui fut proche d’Arthur Sullivan, mais aussi d’Edward Elgar, auquel le liait une solide amitié.

Dans les années 1890, German dirige le Globe Theater de Londres à destination duquel il écrit des musiques de scène. Fasciné par Shakespeare, il compose des pages pour Henry VIII, La Tempête ou Roméo et Juliette, dont on trouve des extraits sur le disque susmentionné. Cette fois, c’est l’ouverture de 1899 pour la tragédie Richard III qui démontre une dimension bien plus représentative des qualités créatives et orchestrales de German que ses pages de musique légère. Le geste est large, le drame est présent avec éloquence, et German utilise un thème spécifique pour caractériser le personnage royal, un peu à la manière de Mendelssohn pour son Ruy Blas d’après Victor Hugo. C’est une page puissante, évocatrice de la destinée tragique du souverain mort au combat ; German en enrichira la déjà luxuriante orchestration lorsqu’elle deviendra une pièce de concert, en ajoutant deux trombones au seul présent dans la version originale, ainsi qu’un contrebasson. 

Autre partition de 1899, composée pour le Festival de Norwich : la suite symphonique The Seasons, qui se révèle presque picturale. Le printemps est présenté dans une orchestration subtile et légère, qui évoque l’amour de la nature, le réveil du chant des oiseaux et les sentiments d’un jeune homme amoureux, inspirés par le lyrisme du grand poète de l’époque victorienne Alfred Tennyson (1809-1892) que German vénérait. L’été est un rondo à la fois joyeux et mélancolique dans le souvenir d’anciennes danses rustiques britanniques. Le thème de l’automne est introduit par le cor anglais et les cordes ; la nostalgie des beaux jours qui déclinent donne de l’intensité délicate à ce mouvement, peut-être le plus beau des quatre, avec le cor anglais qui s’égare peu à peu vers le silence. L’hiver est l’occasion de faire vibrer les paysages qui se figent bientôt dans l’obscurité, mais aussi de célébrer Noël par le biais d’une tarentelle. German révisera sa partition en 1914 pour une exécution à Bournemouth, mais c’est la version originale qui est ici gravée.

A partir de 1904, German ralentit sa production, notamment lassé par les incessantes critiques acerbes de George Bernard Shaw. C’est le compositeur et chef d’orchestre Landon Ronald (1873-1938) qui l’incite en 1919 à produire une œuvre pour la Philharmonic Society de Londres, initiative soutenue par Elgar, l’ami de toujours. Une dizaine d’années auparavant, celui-ci avait suggéré que German écrive une musique sur un épisode de la vie de Canute, Roi d’Angleterre, de Suède et de Norvège qui régna autour de l’an 1000, et sur des chants des moines de l’Abbaye saxonne d’Ely, fondée à la fin du VIIe siècle. Elgar insista, German finit par céder, tout en précisant qu’il ne souhaitait pas se lancer dans une partition à programme. Le résultat porte le titre Theme and six Diversions, avec, pour le thème, des réminiscences des Seasons et de la Symphonie n°2 « Norwich », composée en 1893. German alterne de façon heureuse et grâce à une orchestration qui doit beaucoup à l’univers des cordes, des moments de valses et des passages apaisés, pour aboutir à une coda brillante. Le compositeur laissera sur disque le témoignage d’une version dirigée par lui-même.

Ce programme séduisant est très bien servi par le spécialiste de la musique anglaise qu’est Andrew Penny (°1952) et par l’orchestre irlandais de la RTÉ. Il met l’accent sur les habiles couleurs orchestrales qui parsèment les œuvres orchestrales de German ; il est plus convaincant qu’Adrian Leaper qui menait une formation symphonique slovaque dans le programme de musique légère auquel nous avons fait allusion. Rappelons qu’il s’agit ici de la réédition d’un enregistrement Marco Polo effectué à Dublin en janvier 1994 ; à sa sortie, l’ouverture de Richard III et The Seasons, à l’exception de Summer, faisaient l’objet d’une première discographique mondiale.   

Son : 8,5  Notice : 9  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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