Deux figures de la musique légère britannique : Coates et Coleridge-Taylor
Eric Coates (1886-1957) : By the Sleepy Lagoon ; Springtime Suite ; Saxo-Rhapsody ; Footlights Waltz ; Four Ways Suite ; The Eighth Army March ; Lazy Night ; Last Love ; High Flight March. Kenneth Edge, saxophone ; Orchestre symphonique de la Radio slovaque, direction Andrew Penny. 1993. Notice en anglais. 62.58. Naxos8.555194. Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912) : The Song of Hiawatha op. 30 n° 3 : Ouverture ; Petite suite de concert op. 77 ; 4 Valses caractéristiques op. 22 ; Gipsy Suite ; Romance of the Prairie Lilies ; Othello, suite op. 79. RTÉ Concert Orchestra, direction Adrian Leaper. 1993. Notice en anglais. 71.15. Naxos 8.555191.
Le label Naxos poursuit ses rééditions d’enregistrements Marco Polo des années 1990, avec cette série consacrée à la musique légère britannique. Cinq numéros sont déjà sortis, et l’ordre choisi semble alphabétique : Richard Addinsell, Ronald Binge (album auquel nous avons fait écho le 30 novembre 2021) et un premier Eric Coates avec, notamment, sa célèbre London Suite. L’album n° 4 est un second hommage à Coates ; quant au n° 5, il illustre la musique de Samuel Coleridge-Taylor. Ces deux dernières parutions nous intéressent aujourd’hui.
Né dans le Nottinghamshire, à Hucknall, cité qui peut s’enorgueillir d’un séjour de Lord Byron, Eric Coates étudie l’alto avec Lionel Tertis (1876-1975) à l’Académie Royale de Musique de Londres, ainsi que la composition. Dès 1913, il est soliste principal du Queen’s Hall Orchestra. Six ans plus tard, il décide de se consacrer à la création, en particulier dans le domaine de la musique légère : chansons, suites, fantaisies, ballet, marches et courtes pages orchestrales. Sa verve mélodique est très appréciée. A la fin des années 1920, il s’établit près de la mer, dans le Sussex, qui va lui inspirer des pages évocatrices comme By the Sleepy Lagoon (1930) ou Lazy Night (1932) qui vont vite devenir populaires. Cette même dernière année, le succès de la marche de sa London Suite (à découvrir sur le CD Naxos 8.555178) lui assure des revenus confortables. Une autre de ses œuvres, Desert Islands Discs (1942), servira d’indicatif pour l’un des programmes de la BBC. Influencé par la musique de danse américaine, Coates s’en inspire, entre autres pour Four Ways Suite dont les allusions au jazz et à l’exotisme sont manifestes. En 1946, Coates se rend aux Etats-Unis où il dirige ses œuvres pour la radio ; dans la foulée, il accomplit une tournée en Amérique du Sud, où l’on lui fait fête.
En 1937, Springtime Suite en trois mouvements apparaît comme une image idéale de cette période encore insouciante d’avant-guerre, dans une ligne elgarienne. Un charme élégiaque s’en dégage, avec le mouvement central Noonday Song qui, dans la plénitude de l’intervention d’un solo de violon, est encore garante d’un optimisme qui sied si bien à l’écriture du compositeur. Cet album propose encore la séduisante Footlights Waltz (1939), une Eighth Army March bien enlevée (1942) et, surtout, la Saxo-Rhapsody de 1936. Cette très remarquable page en un mouvement est destinée à mettre en valeur la virtuosité de l’instrument, la partie centrale, Allegro vivace, étant d’un irrésistible panache. Le signataire de la notice, Michael Ponder précise qu’avec la Rhapsodie pour saxophone et orchestre de Debussy et les concertos de Joseph Holbrooke et Lars-Erik Larsson, la Saxo-Rhapsody est l’une des pièces majeures de ce répertoire spécifique de la première moitié du XXe siècle. Le saxophoniste irlandais Kenneth Edge, dont le jeu a incité plusieurs compositeurs contemporains à écrire pour lui, en donne une version brillamment colorée.
Un an avant sa disparition, Coates signe sa toute dernière œuvre, la High Flight March (1956) qui clôture le panorama proposé. On prend beaucoup de plaisir à écouter tout ce programme divertissant, ses mélodies bien tournées et cette perpétuelle quête de légèreté et d’optimisme. Pour cet enregistrement, effectué en avril 1993 dans la salle de concert de la Radio slovaque à Bratislava et paru en 1998 chez Marco Polo (8.223521), l’Orchestre symphonique du lieu, mené par un spécialiste de ce type de musique, l’Anglais Andrew Penny, que l’on retrouve souvent dans des albums Naxos, est à la hauteur de l’attente, avec des rythmes adaptés et des ambiances détendues.
Samuel Coleridge-Taylor occupe le cinquième album de la série, avec une sélection très représentative de la création d’une courte existence, le compositeur étant décédé d’une pneumonie mais sans doute aussi de surmenage, à l’âge de 37 ans. Né d’un physicien originaire de la Sierra Leone et d’une mère anglaise, Samuel voit le jour à Londres. Son père rentre en Afrique, laissant derrière lui femme et enfant ; ce dernier montre très vite son intérêt pour le violon, qu’il étudie au Royal College of Music. En 1892 (il a dix-sept ans), il travaille la composition avec Sir Charles Villiers Stanford et remporte un concours auquel il se présente. Après avoir fondé à Croydon un orchestre à cordes très apprécié, il occupe divers postes de professeur de violon, dirige la London Handel Society de 1904 à 1912 et compose beaucoup. Il acquiert une dimension internationale, ce qui ne l’empêche pas de demeurer fidèle à Croydon, petite cité de la banlieue sud de Londres. Lors de tournées aux Etats-Unis, où il est reçu par le président Theodore Roosevelt, il dirige avec succès ses propres œuvres. Son répertoire se compose de deux opéras et de deux opérettes, de pages chorales, vocales, symphoniques et pour musique de chambre et de pièces pour le piano. C’est le volet orchestral qui est ici mis en évidence.
La trilogie de cantates The Song oh Hiawatha (1898-1900) apporte à Coleridge-Taylor la reconnaissance de ses pairs (Stanford, Parry, Sullivan) et la notoriété. En 1901, présentée en même temps que The Dream of Gerontius, elle est mieux accueillie que la partition d’Elgar. Basée sur le poème épique éponyme de Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882) paru en 1855, elle évoque les aventures du héros mythique amérindien Hiawatha, dont Dvořák se souviendra dans sa Symphonie du Nouveau Monde, mais aussi Frederik Delius, dans un poème symphonique de 1888. On entend ici une ouverture tirée de cette trilogie, riche en couleurs et en harmonies sensuelles, qui aurait été idéale pour une musique de film. De la même époque datent les 4 Valses caractéristiques (1898), successivement bohémienne, rustique, « de la Reine » et mauresque. Le jeune Samuel courtise alors sa future épouse à laquelle il exprime son amour. Dix ans plus tard, il compose pour un théâtre de Londres une Suite Othello (1909), agrémentée d’une danse, d’un intermezzo, d’une scène de rêve et d’une marche qui montrent la capacité du compositeur à créer des atmosphères bien contrastées. L’année suivante, une Petite suite de concert, peut-être sa partition la mieux connue de nos jours, révèle le charme d’une ballade et la diversité d’un style inscrit dans la grande tradition du ballet. Des arrangements de mélodies, effectués par Leo Artok (1885-1935) et Percy Eastman Fletcher (1879-1932) après le décès de Coleridge-Taylor, complètent ce panorama symphonique. On peut aisément les situer dans le cadre des agréables musiques de salon.
Ce compositeur trop tôt disparu mérite, au-delà du présent album, que l’on aille à la rencontre d’autres pages issues de sa créativité musicale : des mélodies (Orion), une symphonie ou un concerto pour violon (Lyrita), la trilogie Hiawatha, avec Bryn Terfel sous la direction de Kenneth Alwyn (Decca), ou des gravures historiques de pages symphoniques par Sir Malcolm Sargent, Sir Dan Godfrey et Anslie Murray (Heritage), valent le détour. C’est un autre chef anglais, Adrian Leaper (°1953) qui officie dans cet enregistrement effectué en janvier 1993 et paru en 1995 (Marco Polo 8.223516). On sent chez lui la familiarité avec ce type de répertoire, qu’il partage avec le RTÉ Concert Orchestra, phalange irlandaise fondée en 1948, bien rodée à la musique britannique à laquelle elle se consacre très souvent.
Coates : Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 8
Coleridge-Taylor : Son : 8 Notice : 10 Répertoire : 8,5 Interprétation : 8
Jean Lacroix