Un joyeux ballet de Sullivan pour le Jubilé de diamant de la reine Victoria

par

Sir Arthur Sullivan (1842-1900) : Victoria and Merrie England, ballet en huit scènes. RTÉ Sinfonietta, direction Andrew Penny. 1993. Notice en anglais. 77.49. Naxos 8.555216.

Le label Naxos poursuit la réédition de gravures parues dans les années 1990, dont on salue le retour avec intérêt car, la plupart du temps, il s’agit de partitions musicales peu fréquentées et même de premières mondiales au disque. C’est le cas pour ce ballet de Sullivan, enregistré en septembre 1993 au National Concert Hall de Dublin et paru sous étiquette Marco Polo (8.223677). Le 9 août 2021, nous avons présenté une autre réédition de pages de musique de scène de ce compositeur, avec les mêmes interprètes. Nous renvoyons le lecteur à ce texte pour des aspects biographiques détaillés concernant Sullivan, né cinq ans après l’avènement de la Reine Victoria et décédé un an avant elle. Toute une vie sous un seul règne, voilà qui n’est pas commun !

Rappelons simplement que ce Londonien a collaboré avec le librettiste William S. Gilbert pour quatorze opéras dont The Mikado (1885), et qu’il est aussi le compositeur de concertos ou d’œuvres symphoniques de valeur, notamment son Irish Symphony de 1866. Sullivan était proche de plusieurs membres de la famille royale anglaise, en particulier du Duc d’Edimbourg, le Prince Alfred, fils cadet de la souveraine ; cela lui valut plusieurs commandes lors d’événements officiels. Lorsque la Reine Victoria célébra son Jubilé de diamant en 1897, Sullivan fut sollicité pour écrire un ballet. Celui-ci allait être produit avec un grand succès à partir du 25 mai de cette année-là au Théâtre de l’Alhambra, où il allait rester à l’affiche pendant six mois. Sullivan en tira trois Suites dont une seule a été conservée ; le manuscrit autographe de l’œuvre intégrale a disparu. Après la disparition du compositeur, sa secrétaire arrangea le ballet en vue d’une publication pour piano seul, tâche déjà entamée pour les cinq premiers numéros par Sullivan lui-même. Pour la présente édition, une reconstitution orchestrale basée sur les éléments disponibles, notamment des indications dans de la correspondance, a été nécessaire ; le résultat est distrayant et réjouissant.

Ce ballet dépasse l’évocation de l’événement du Jubilé de la Reine pour se présenter comme une pittoresque fresque pseudo-historique de la « joyeuse Angleterre » rappelant le passé de celle-ci. La répartition en huit scènes débute par l’ancienne Bretagne avec les druides et la symbolique des rites anciens, en particulier celui du gui. Les Scènes II et III évoquent le Jour du 1er Mai au temps glorieux de la Reine Elisabeth : festivités, mimes, processions, danse de guerriers, un rappel de héros légendaires : Robin des Bois et Lady Marianne (les anachronismes ne font pas peur à Sullivan), sans oublier le frère Tuck. Une incursion dans la forêt de Windsor et le souvenir du mythique Herne le chasseur, géant du folklore, occupent les scènes IV et V, avec un épisode de tempête, assez réussi, et la présence de nymphes. Le XVIIe siècle est présent avec des fêtes de Noël sous le règne de Charles II et, entre autres divertissements, l’entrée et le cortège du Père Noël. Une marche impériale d’une grande solennité pompeuse rend un hommage spécifique à la Reine Victoria dans la scène VII, le dernier tableau étant consacré à la gloire de la Grande-Bretagne, avec des danses élargies aux Irlandais, aux Ecossais et aux Colonies. Les airs traditionnels Britannia et God save the Queen ! assurent une grandiose apothéose.

Tout cela est fort réjouissant car la reconstitution, avec ses airs populaires, tient compte du fait que Sullivan était un orchestrateur habile et qu’il avait réutilisé pour le présent projet certains extraits de partitions de jeunesse, dont L’Ile enchantée (autre réédition Naxos disponible). A l’époque, le ballet en Angleterre était avant tout national : de grandes pages comme Le Lac des cygnes ou Sylvia n’y ont pas été jouées avant le début des années 1910, et La Belle au bois dormant attendra jusqu’en 1921. Occuper le devant de la scène était donc une opportunité à saisir, surtout quand c’était une commande de la Cour.

On ne prétendra pas que cette musique divertissante, bien colorée, avec ses danses et ses marches entraînantes, est une priorité. Mais il faut s’encanailler de temps à autre et ne pas hésiter à sortir des sentiers battus pour découvrir des univers légers qui font passer un vrai moment de détente. On retrouve Andrew Penny (°1952), un habitué de la musique anglaise, à la tête de la formation irlandaise RTÉ Sinfonietta qui joue le jeu à fond et avec dynamisme pour donner de l’entrain à ce ballet qui a été si apprécié sous l’ère victorienne.

Son : 8  Notice : 8  Répertoire : 7,5  Interprétation : 8

Jean Lacroix

 

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