En compagnonnage avec Philippe Boesmans
Vers l'étrangeté, ou l'opéra selon Philippe Boesmans par Cécile Auzolle
S'il est un homme que l'on désire connaître et avec qui passer un moment, Philippe Boesmans est de ceux-là tant il respire la sincérité, la bonté, la curiosité, le partage et, bien sûr, le génie. La Passion de Gilles (1983), Reigen (1993), Wintermärchen (1999), Julie (2005), Yvonne, princesse de Bourgogne (2009), Au monde (2014). Six opéras en un peu plus de vingt ans, lui-même y pensait-il lorsque, à peine sorti du conservatoire avec des qualités de pianiste, il se lance avec pour outils sa seule curiosité, son éclectisme et sa passion. Enfant malade puis militant communiste comme l'étaient les intellectuels à l'époque, pouvait-il imaginer les ors de l'opéra et avouer plus tard que son lieu préféré est le théâtre à l'italienne ? Tout cela posait question à Cécile Auzolle, l'auteur de cet ouvrage passionnant qui relate leurs rencontres et leurs échanges. Cécile Auzolle enseigne l'histoire, l'analyse et l'esthétique de la musique et de l'art lyrique à l'université et mène des recherches sur l'opéra francophone aux XXe et XXIe siècles, mettant encore plus en valeur le génie de Boesmans dans la perspective de la création lyrique des deux dernières décennies du XXe siècle et du début du XXIe. Un fil rouge parcourt l'ouvrage : la totale liberté du compositeur qui ne s'attache à aucun courant mais bien à la réflexion que lui procure un texte, à l'émotion qu'il suscite, à sa prosodie, aux interprètes qu'il choisira pour le traduire, à la capacité du public à le ressentir lui aussi. Un travail d'équipe également, avec le librettiste, le metteur en scène. Observateur du monde avec son coeur et son esprit, Philippe Boesmans offre une musique de l'émotion, de la tendresse, qui laisse aller le temps, lui offrant à l'occasion une citation comme la madeleine venait à Proust. Tout ce travail mène le compositeur à trouver une homogénéité entre le théâtre et la musique qui rend son oeuvre accessible et, le plus souvent, magnifiquement accueillie si ce n'est par les Allemands qui lui préfèrent un théâtre plus conceptuel. "L'art n'est intéressant que s'il rend la vie plus intéressante que l'art". Cette chute est du compositeur... N'est-elle pas belle ?
Bernadette Beyne
2014, Actes Sud, 349 pages, 23 euros