Exploration de la lyrique médiévale germanique avec l’ensemble Céladon

par

Under der Linden. Konrad von Würzburg (c1225-1287) : Do ich mich übt der seiten Klang. Heinrich von Meissen, dit Frauenlob (c1250-1318) : Gar starc bekannt ist der Helffant ; Lucas vns melt im anderen Capitel. Albrecht Lesch (?-1393) : Zuch durch die Wolken. Bruder Wernher (1225-1250) : Ich buwe eyn Hus. Dietmar von Aist (1115-1171) : Der Winter waere mir ein Zit. Tannhäuser (fl. 1245-1265) : Avianuss der frey poet. Konrad Marner (1270- ?) : Ir schauwent an die cleyn ameyss. Der Unverzagte (1280- ?) : Der kvninc Rodolp. Robin (XIIIe s.) : Nieman tzv vro sol prysen. Walther von der Vogelweide (1170-1230) : Under der Linden. Ensemble Céladon. Clara Coutouly, soprano. Paulin Bündgen, contre-ténor. Nolwenn Le Guern, vièle, crwth. Caroline Huynh Van Xuan, organetto. Florent Marie, luth. Gwennaël Bihan, flûtes. Livret en anglais, français, allemand ; paroles en langue originale non traduite. Avril 2022. TT 75’30. Ricercar RIC 447

Après un album dédié en 2016 à Jehan de Lescurel, puis les chants de troubadours de Nuits Occitanes (paru en 2020), l’ensemble Céladon se penche sur le Minnesang et en particulier la Spruchsangdichtung, témoin d’un art « professionnel » que loua l’héritière confrérie des Meistersinger. Un génie que pleura Robin dans Nieman tzv vro sol prysen. Entre Dietmar von Aist et Albrecht Lesch, deux larges siècles de création sont couverts. Le copieux programme s’achève sur le célèbre Sous les tilleuls de Walther von der Vogelweide, un des représentants les plus emblématiques, et qui étreint ici par son dialogue au bord des murmures : l’écheveau tissé par Clara Coutouly et Paulin Bündgen nous abandonne sur une rêverie aussi délicate que suggestive.

Émané de la noblesse, la thématique propre au genre courtois trouve dans ce parcours d’une heure et quart des prolongements bien plus riches que l’attendu topos de l’amour contrarié par la géographie et la position sociale. Les vertus chevaleresques sont d’ailleurs égratignées dans le portrait louangeur puis satirique de Der kvninc Rodolp, qui s’achève sur un narquois « sit werhaft kegen den vygenden unde sit milte wa man tzuo rechte geben soll ». Au sein de l’imagerie la plus prégnante, on distinguera les visions édifiantes d’Ir schauwent an die cleyn ameyss ou le bestiaire symbolique de Gar starc bekannt ist der Helffant. Dommage que le livret exempt de toute traduction risque d’éloigner l’auditeur non (médiévo-)germanophile de la signification littéraire de ces pages. On notera toutefois que l’interprétation des chants a profité des conseils phonétiques de Delphine Pasques. Ils sont parfois assemblés à deux voix, illustrant de ravissants effets d’écho (Ir schauwent an die cleyn ameyss). Le recours instrumental, qui se voit confié deux interludes à lui seul (Zuch durch die Wolken, Avianuss der frey poet), étapes pittoresques, brode par ailleurs un adroit tissu de cordes pincées ou frottées, soutenu par le souffle de l’organetto.

Sous la conduite de Paulin Bündgen, qui nous bouleverse aisément dans les contrées mystiques du Lucas vns melt im anderen Capitel, l’ensemble fondé voilà plus de vingt ans en 1999 confirme à sa manière son savoir-faire à élucider verbe et sens de cette lointaine époque. Les parutions entièrement consacrées à ce répertoire ne sont pas si nombreuses, si l’on excepte le récent Anonymous Lover voué en décembre 2021 au Mönch von Salzburg (fl. XIVe s) par Anne-Suse Enßle et Philipp Lamprecht. Dans le champ de la musique ancienne, le visage profane du Moyen-Âge n’est pourtant pas le mieux servi par la discographie récente. Autour de la figure de Konrad von Würzburg, on se rappellera le vinyle Minnesänger & Meistersinger avec Andrea von Ramm (1987), repris dans les deux anthologies Minnesang: Die Blütezeit & Die Spätzeit chez le label Christophorus. Par des voies poétiques toutes de subtilité, le présent CD en représente un digne successeur, actualisant dans un style pertinent et fluide, sans effet de manche ni sclérose muséale, l’art comme l’éthique de ce pan majeur de la lyrique médiévale allemande.

Son : 8,5 – Livret : 8 (dommage que les chants ne soient pas traduits) – Répertoire & Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 



Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.