Une savoureuse Pastorelle en musique de Telemann par L’Ensemble 1700 

par

Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Pastorelle en musique. Lydia Teuscher (Caliste), Marie Lys (Iris), Alois Mühlbacher (Amyntas), Florian Götz (Damon), Virgil Hartinger (Knirfix) ; Vocalconsort Berlin ; Ensemble 1700, direction Dorothee Oberlinger. 2021. Notice en anglais et en allemand. Texte du livret en allemand et en français, avec traduction anglaise. 110.34. Un coffret de deux CD Deutsche Harmonia Mundi 19658701132.

Chez le même éditeur, il y a moins de deux ans, l’Ensemble 1700, fondé en 2002 par la flûtiste et pédagogue allemande Dorothee Oberlinger (°1959), nous avait enchanté en enregistrant le Polifemo de Giovanni Battista Bononcini (notre article du 7 décembre 2020). Aujourd’hui, c’est la Pastorelle en musique de Telemann, captée en public en juin 2021 au Schlosstheater Neues Palais de Postdam Sanssouci, à vingt-cinq kilomètres au sud-ouest de Berlin, qu’il nous propose. C’est un nouveau moment séduisant qui met en évidence une partition qui a déjà connu les faveurs d’un album live chez Capriccio en 2005 par la Capella Leopoldina, avec notamment, dans la distribution vocale, Barbara Fink, sous la direction de Kirill Karabits.

Il revenait à ce chef ukrainien de créer le premier l’événement en ce début de notre siècle : c’est lui qui a retrouvé, peu auparavant, une copie de l’œuvre qui avait abouti après la seconde guerre mondiale dans une bibliothèque de Kiev, en provenance des archives de la Berlin-Sing Akademie, et qui est certainement le plus ancien drame musical de Telemann préservé dans son intégralité. Cette découverte a été transférée en 2002 et se trouve maintenant au département musical de la Bibliothèque d’Etat de Berlin ; elle a fait l’objet d’un examen par le musicologue allemand Peter Huth. La première en a été donnée au Komische Oper de Berlin en 2004 ; une édition critique a suivi dix ans plus tard. 

Ecrite à l’occasion d’épousailles dans la haute aristocratie, cette sérénade arcadienne est construite sur une intrigue mince : trois bergers veulent se marier tandis que deux bergères sont pour le moins réticentes et attachées à leur indépendance. Après quelques intrigues, affrontements sans excès et expression des désirs, deux couples (Caliste/Damon et Iris/Amyntas) finiront par se marier, Knirfix optant pour le célibat. C’est sur cette trame convenue que Telemann compose ce petit bijou au cours des années qu’il passe à Francfort de 1712 à 1721. Avec une particularité :  amateur de culture française, il adule Molière et Lully, notamment Les Amants magnifiques, comédie-ballet de 1670 au cours de laquelle le Roi Soleil a dansé pour la dernière fois. Telemann fait écho à cette source inspirante dans un intermède. Tout aussi friand de la langue de l’Hexagone, il rédige un livret inhabituel : le texte est en allemand, saupoudré par des interventions du chœur et du berger Damon en français. Un choix pittoresque, qui fait mouche par l’esprit qu’il ajoute à l’ensemble.

Dans son autobiographie de 1740 publiée à Hambourg, Telemann écrit : Des sérénades de mariage, il y en eut à peu près vingt, dont j’ai également écrit les textes. Leur liberté et le sel d’un goût douteux qu’on trouve dans la plupart font que j’aurais quelques scrupules à les écrire aujourd’hui. (Lyon, Symétrie, 2013, p. 57-58). La Pastorelle en musique démontre que le compositeur est bien sévère avec lui-même : elle est toute en vivacité et en imagination, à tel point que l’audition est un plaisir ininterrompu. Celui-ci commence dès l’ouverture, en réalité un brillant Concerto de onze minutes, sorte de feu d’artifice instrumental qui convient tout à fait à l’atmosphère d’une idylle dans un milieu aisé, avec des trompettes festives et une instrumentation pleine de couleurs. Ces couleurs vont illustrer toute la partition, au sein de laquelle l’émotion, l’engagement vocal et orchestral, les tableaux choraux, les airs et les récitatifs pleins de spontanéité vont abonder. Tout baigne dans un esprit dansant des plus réussis, agrémenté d’une légèreté mélodique qui est aussi teintée d’un humour de bon aloi. Dans ce contexte, les cinq solistes du chant sont en harmonie avec l’atmosphère pastorale à laquelle ils confèrent une dimension ludique que les interprètes de Kirill Karabits chez Capriccio rendait moins séduisante, à l’exception de Barbara Fink, qui planait sur la distribution. Ici, les sopranos Lydia Teuscher, une mozartienne, et Marie Lys, qui s’est déjà fait remarquer dans Handel, Puccini ou Donizetti, rivalisent de fraîcheur et de subtilités séductrices. Le ténor Virgil Hartinger, le contreténor Alois Mühlbacher et le baryton Florian Götz sont leurs dignes partenaires. On aurait peine à épingler l’un ou l’autre air ou récitatif de manière spécifique, tant le charme agit à chaque fois. Quant à l’insertion des passages en français, que le baryton sert bien, ils apportent une vraie touche de finesse. Babette Hesse, l’auteure de l’intéressante notice, souligne le fait qu’en procédant de cette manière, Telemann a permis aux auditeurs allemands de son époque de découvrir les airs alors en vogue à Paris. En tout cas, tout coule de source dans cette production, y compris les moments réservés aux voix du Vocalconsort Berlin, en forme optimale, et à cet Ensemble 1700 que Dorothee Oberlinger conduit avec un goût très sûr, proche du raffinement.

On aurait aimé pouvoir ajouter au plaisir du son, dont la qualité fait oublier qu’il s’agit d’une représentation publique, celui de l’image. Si par bonheur cette représentation avait été filmée, un DVD aurait ajouté à ce petit bijou un surcroît de plaisir. Nous émettrons toutefois un minime bémol : l’éditeur a jugé bon de traduire le texte bilingue de Telemann uniquement en anglais. Il aurait été tout à fait judicieux, vu l’utilisation du français par le compositeur, d’ajouter une version complète dans notre langue des passages en allemand. A envisager pour une éventuelle réédition ?

Son : 10    Notice : 9    Répertoire : 9   Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

        

 

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