Le label Ricercar a quarante ans (3) : enregistrements des années 2010

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Nous clôturons un choix sélectif de rééditions du label Ricercar (lire ici et ici les précedents articles), à l’occasion de ses quarante ans d’aventure discographique. Il s’agit de quatre CD, enregistrés entre 2009 et 2013.

Girolamo FRESCOBALDI (1583-1643) : Il Regno d’Amore. Mariana Flores, soprano ; Clematis (Stéphanie de Failly, violon ; Marie Bournisien, harpe ; Andrea de Carlo, basse de viole ; Quito Gato, théorbe et guitare ; Leonardo Garcia Alarcon, clavecin et orgue). 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 60.27. Ricercar RIC 149.

Issu d’une famille aisée, Frescobaldi étudie à Ferrare avec Luzzaschi ; à quatorze ans, il est déjà organiste. Il bénéficie aussi de l’enseignement de Gesualdo et se retrouve à Rome au service de la famille Bentivoglio dont un membre va être nommé nonce apostolique en Flandres en 1607 ; Frescobaldi l’accompagne à Bruxelles pendant une petite année au cours de laquelle il publie des madrigaux. De retour en Italie, il occupe le poste d’organiste de Saint-Pierre à Rome. Au cours de sa carrière, il est au service de plusieurs employeurs, notamment à Florence. Ricercar a publié en 2016 des œuvres pour orgue de Frescobaldi jouées par Bernard Foccroulle (RIC 372) ; le présent CD, enregistré en juin et octobre 2009 en l’église Notre-Dame de Centeilles, propose une autre facette de son art, plus précisément liée à ses relations avec Florence. C’est là qu’il publie les Arie musicali ; il dédie aussi en 1628 son premier recueil de musique instrumentale au Grand-Duc de Toscane, Ferdinand II. Dans ce panorama qui se compose de dix-huit pièces, des pages instrumentales alternent avec les parties chantées, le tout étant construit en trois parties : Canti d’amor, canti sacri et Ballo. La soprano Mariana Flores, à la voix fraîche et envoûtante, traduit avec bonheur les sentiments amoureux tout comme la désolation dramatique (sublime Maddalena a la croce) ou l’expiation des fautes, mais aussi les joies bucoliques. Des moments magiques que l’ensemble Clematis porte à un haut niveau d’élévation émotionnelle.

Elisabeth JACQUET de la GUERRE (1665-1729) : Sonates pour violon. Les Dominos (Florence Malgoire, violon ; Guido Balestracci, basse de viole ; Jonathan Rubin, théorbe et guitare ; Blandine Rannou, clavecin). 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 78.02. Ricercar. RIC 142

La notice de Jérôme Lejeune rappelle qu’Elisabeth, née Jacquet, devenue de la Guerre par mariage, est issue d’une famille de musiciens, son père étant organiste ; elle fut une enfant prodige. Protégée de Madame de Montespan, elle est complimentée en 1707 par le Roi Soleil en personne, qui a l’occasion d’entendre ses sonates. Cette claveciniste de talent et compositrice, fait rare à l’époque, a écrit de la musique vocale, une tragédie lyrique, des airs de Cour, des cantates, des pièces pour son instrument de prédilection, le clavecin, mais aussi deux recueils de sonates, dont celui qui est enregistré ici, destiné au violon. Il semble qu’Elisabeth en jouait, ainsi que de la basse de viole. Publiées l’année du compliment de Louis XIV, ces six superbes sonates diffèrent de celles qui étaient courantes à l’époque et s’inspiraient de la forme des sonates de Corelli, « avec cette alternance des mouvements lents et rapides, commençant toujours par un mouvement lent, concluant toujours par un mouvement rapide ». Les sonates de Jacquet de la Guerre sont constituées de quatre à huit mouvements, et le début ou la fin n’adoptent pas la même systématisation, les tempos indiqués se contentant des seules notations de « Presto », « Adagio » ou « Aria ». La compositrice manie toute la gamme des expressions, de la virtuosité aux effets douloureux, légers, dramatiques, joyeux ou sereins. Toute une panoplie qui révèle une grande inspiration et procure un plaisir d’écoute qui se renouvelle sans cesse. Au violon, Florence Malgoire distille toutes les nuances avec un art consommé de l’équilibre et de la précision. Au fil des plages, ses partenaires, la basse de viole Guido Balestracci, Jonathan Rubin au théorbe et à la guitare et la claveciniste Blandine Rannou, qui fut lauréate du Concours Antiqua Musica de Bruges en 1992, sont en parfaite osmose avec la soliste. L’enregistrement a été effectué en octobre 2010 à l’église Notre-Dame de Centeilles. 

A Renaissance Collection. Œuvres de Josquin Desprez, Johannes Ockeghem, Antoine Brumel, Cipriano de Rore, Roland de Lassus, Giovanni Pierluigi da Palestrina, Domenico Mazzocchi, Cherubino Waesich, Robert Fayrfax, Henry VIII, Luca Marenzio, Joachim von Burck, Caspar Othmayr et Mogens Pederson. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. Vox Luminis, direction artistique Lionel Meunier. 75.58. RIcercar RIC 155. 

L’ensemble Vox Luminis a fait son apparition en 2004 sous l’impulsion de Lionel Meunier. Ce groupe à géométrie variable, constitué à la base par des instrumentistes issus du Conservatoire Royal de Musique de La Haye, s’est spécialisé dans le répertoire italien, anglais et allemand des XVIe au XVIIIe siècles. Couronnée par diverses récompenses, sa discographie est riche de gravures consacrées notamment à Schütz, Purcell, la famille Bach ou Buxtehude. Vox Luminis est au catalogue de Ricercar dès 2007, avec un programme construit autour du Stabat Mater de Domenico Scarlatti. Jérôme Lejeune retrace dans la notice la collaboration avec l’ensemble et rappelle sa participation à la réalisation de plusieurs coffrets historiques consacrés à la Polyphonie flamande, à L’Europe musicale de la Renaissance et à la Réforme et Contre-Réforme. Le présent CD est un choix parmi ces enregistrements, sous la forme d’un hommage aux maîtres franco-flamands, puis aux fastes de la chanson française, avant des madrigaux italiens et un passage par l’Angleterre, où Henri VIII ne passait pas uniquement son temps à assassiner ses épouses. La Réforme luthérienne n’est pas oubliée, ni le Danemark, où s’achève ce panorama européen de toute beauté, servi avec délectation par Vox Luminis, auquel est adjoint à deux occasions l’ensemble romain Mare Nostrum. Les enregistrements ont été réalisés de 2010 à 2013 en l’église Saint-Jean l’Evangéliste de Beaufays.

Nuits occitanes : Chansons de troubadours. Œuvres de Marcabru, Raimon Jordan, Bertran de Born, Beatriz de Dia, Cadenet, Guiraut de Bornelh, Raimon de Miraval et Berenguier de Palazol. Ensemble Céladon. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 68.13. Ricercar RIC 144.

Les chansons des poètes-musiciens que sont les troubadours évoquent dans l’esprit collectif le raffinement et l’expression de l’amour, dans le contexte essentiel du XIIe siècle. Jérôme Lejeune rappelle dans sa notice que les origines de ces amoureux, chevaliers ou jongleurs, sont diverses, issues de toutes les classes sociales. Il s’agit de célébrer la belle inaccessible, mais la quête, la plupart du temps, s’arrête au stade du désir ou, si réunion de couple il y a, elle est éphémère et à court terme. Sur le plan géographique, une partie de la France, l’Occitanie, et de la péninsule ibérique est concernée, avec l’une ou l’autre extension, mais la « langue d’oc » est commune. Ce CD intitulé « Nuits occitanes » est découpé en trois moments temporels : avant, pendant et après la nuit, et regroupe des pièces poétiques au sein desquelles la nature en toutes saisons tient aussi une grande place. Une petite dizaine de compositeurs/troubadours dont les noms sont familiers pour cette période (Marcabru, Cadenet, Ventadorn…) sont ainsi représentés ; une femme, l’épouse de Guillaume de Poitiers, Beatriz de Dia, est aussi présente. L’accompagnement instrumental a été soigneusement choisi pour chaque page afin qu’il soit le plus plausible possible. Le fiddle, le luth médiéval, le rabab ou des percussions enrichissent l’atmosphère lyrique délicate, touchante et raffinée que les voix de la soprano Clara Coutouly et du contreténor Paulin Bündgen - qui signe aussi un texte sur la composition du programme- caressent avec émotion, sensualité ou raffinement. Les instrumentistes Gwénaël Bihan, Nolwenn Le Guern, Florent Marie et Ludwin Bernaténé complètent cet Ensemble Céladon qui nous émerveille et nous emporte dans cet enchanteur univers courtois, enregistré à Centeilles, dans l’église Notre-Dame, en août 2013.   

Note globale pour ces quatre CD : 10

Jean Lacroix 

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