Femmes compositrices du XIXe siècle : Fanny Mendelssohn

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« Pouvez-vous me citer des femmes compositrices du XIXe siècle ? »

A cette question, la plupart des interrogés restent muets. Pourquoi ? Certains, par boutade j’espère, répondent que le génie des femmes ne s’applique sans doute pas à la composition.

Le but de ces articles est de mettre en lumière un pan de l’histoire toujours occulté.

Pour se faire une idée des conceptions encore répandues au XIXe siècle, voici un extrait de l’Emile ou de l’Education (Vol. V) de Jean-Jacques Rousseaux (1712 – 1778) : « … toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. »

Durant le Troisième Reich, les femmes allemandes se doivent encore de respecter la règle des 3 K : Kinder, Küche, Kirche (enfants, cuisine, église).

Quelques compositrices ont attiré mon attention : Fanny Mendelssohn, Clara Wieck, Hélène de Nervo, Louise Dumont, Cécile Chaminade, Mélanie Bonis. D’autres peuvent s’ajouter. Quelle que soit leur origine, leur parcours présente des points communs.

 Fanny Cäcilia Mendelssohn (1805 Hambourg – 1847 Berlin), sœur aînée du compositeur Félix Mendelssohn, épouse du peintre Wilhelm Hensel.

Fanny Mendelssohn est de 4 ans plus âgée que son frère Félix. La fratrie compte encore une fille, Rebecca, et un fils, Paul. La famille Mendelssohn, puis Mendelssohn Bartholdy, est très cultivée. Le grand-père, Moïse est un philosophe internationalement reconnu. Abraham, le Père est un riche banquier. La mère, Léa Salomon, vient d’une famille où les arts plastiques et la musique sont intégrés à l’apprentissage de l’enfant. Les Mendelssohn tiennent chez eux, à Berlin, Leipziger Straße, 3, un salon où se côtoient intellectuels et artistes. Les 4 enfants reçoivent une éducation très soignée. Bonne pianiste de salon, la mère les initie à la musique. Très tôt (Fanny a 11 ans et Félix 7), les parents reconnaissent le talent musical exceptionnel de leurs deux aînés et leur offrent les meilleurs maîtres tant pour le piano que pour la théorie musicale et la composition. Il ne faut pas longtemps à Fanny pour être reconnue comme excellente pianiste dans le cercle des amis des parents. Elle révèle là ses talents de compositrice par l’excellente facture de ses Lieder et de ses petites pièces pour piano. Le rêve s’arrête quand elle a 15 ans. Juifs fraîchement convertis au luthérianisme, les Mendelssohn se doivent de vivre en accord avec les conventions bourgeoises de l’époque.

Son père la conjure de se concentrer sur son futur rôle d’épouse et de mère et restreint son activité musicale au cercle fermé des amis de la famille. Voici un extrait d’une lettre qu’elle reçoit alors de lui : « La musique deviendra peut-être pour lui [Félix] son métier, alors que pour toi elle doit seulement rester un agrément mais jamais la base de ton existence et de tes actes … ta joie sincère devant les louanges qu’il [Félix] reçoit prouve que tu en aurais mérité tout autant à sa place. Demeure fidèle à ces sentiments et à cette ligne de conduite, ils sont féminins et seulement ce qui est féminin est un ornement pour ton sexe ».

Les concerts publics et la publication d’œuvres musicales ne sont donc pas le fait de femmes. Abraham Mendelssohn organise, chez lui, à Berlin, les Dimanches de la Musique (de 11h à 14h) avec des orchestres professionnels de haut niveau, ce qui permet, tant à son fils qu’à sa fille, d’interpréter des œuvres anciennes et contemporaines et leurs propres créations devant un public choisi avec soin. Au début, Fanny compose donc de petites pièces pour piano et des Lieder qui correspondent au public qu’on lui accorde ; puis, prise par sa passion, elle compose davantage, tout en sachant qu’elle ne publiera jamais. Conformément aux souhaits de son père, fier de son fils, elle soutient son frère et lui organise tournées et concerts. Invités de leurs soirées privées, on croise Charles Gounod, Franz Liszt, Clara et Robert Schumann. En 1929, les Dimanches de la Musique sont supprimés : Félix part pour l’Angleterre.

A 24 ans, elle épouse le peintre Wilhelm Hensel qui l’encourage à créer. Ils ont un fils, Sebastian, et vivent chez les parents de Fanny. Publier lui est refusé par son frère, héritier des idées paternelles, pourtant uni à sa sœur par une profonde affection. Les Dimanches de la Musique sont réinstaurés. Fanny dirige et accompagne sa chorale d’environ 20 chanteurs et d’amis instrumentistes. On y propose des oratorios, des airs d’opéras, de la musique de chambre de Bach, Mozart, Weber et … Mendelssohn. Cela lui permet aussi de présenter ses œuvres pour piano, chants, duos comme Hero und Leander pour soprano et orchestre (ou piano) dont le texte est de Wilhelm Hensel, trios, une ouverture orchestrale… Ceci, au dire de invités, enrichit la vie artistique de la ville. Fanny trouve un nouvel élan pour composer. Elle offre parfois des partitions en cadeau à des amis mélomanes. 

Félix, en accord avec elle, finit par publier certaines de ses œuvres sous son nom à lui en 1827 et 1830. On en connaît au moins six qu’il mêle à ses Liederheften op. 8 et 9, cinq lieder et un duo accompagné au piano. En 1842, il est très embarrassé quand, à Buckingham Palace, la Reine Victoria lui demande d’interpréter son Lied favori, Italien. Il avoue alors que c’est une œuvre de sa sœur Fanny.

En1839-1840, Fanny et son époux vivent une année exceptionnelle en Italie où elle reçoit la consécration pour son travail par un public élargi. De retour en Allemagne, Fanny compose son œuvre pour piano la plus importante, le cycle Das Jahr où elle dépeint musicalement chaque mois de l’année. Soutenue par son mari et des amis, passant outre au diktat de son frère, elle commence à publier systématiquement ses œuvres. Le 14 mai 1847, elle meurt d’une crise cardiaque survenue lors d’une répétition. Félix, très affecté, sombre dans une profonde dépression, publie quelques œuvres de sa sœur sur les conseils de son beau-frère et s’éteint 6 mois plus tard. Fanny a composé plus de 460 œuvres.

A la mort de son amie, Charles Gounod écrit : « Madame Hensel a été une musicienne inoubliable, une excellente pianiste et une femme d’une intelligence supérieure. Elle était petite et mince, mais le feu qui brûlait dans ses yeux révélait une extraordinaire énergie. Comme compositeur, elle a été extrêmement douée. »

 Fanny Mendelssohn est l’une des compositrices les plus importantes de l’ère romantique.

Anne-Marie Polome

Crédits photographiques : Fanny Mendelssohn par  Wilhelm Hensel/ Yale University

       

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