Florian Noack transcende les Etudes de Sergueï Liapounov

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Sergueï Liapounov (1859-1924) : 12 Etudes d’exécution transcendante op. 11. Florian Noack, piano. 2020. Notice en français, en anglais, en japonais et en allemand. 70.02. La Dolce Volta LDV 90.

Florian Noack persiste et signe. Après deux albums consacrés à Liapounov chez ARS (en 2013 et 2016), qui s’attachaient à des pages peu jouées du compositeur russe, il se consacre maintenant à son cycle le plus représentatif, composé entre 1897 et 1905. Le pianiste belge (°1990) a passé plusieurs années de formation à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth et s’est fait remarquer, dès ses premiers enregistrements, pour son attirance vers des partitions moins fréquentées. Il évoque dans la notice son enthousiasme lorsqu’à l’âge de quatorze ans, il a découvert ces Etudes de Liapounov, mais aussi son étonnement : comment se pouvait-il qu’une telle musique, si belle, si finement écrite pour le virtuose, et si accessible au mélomane, puisse être aussi méconnue ? Ce dédain, qu’avait racheté par le passé la gravure historique du beau-frère de Yehudi Menuhin, Louis Kentner (1949, réédition APR 2002), a fait place à un regain d’intérêt ces dernières années. L’agilité de Vincenzo Maltempo (Piano Classics, 2017), le raffinement d’Etsuko Hirose (Mirare, 2018) ou l’engagement de Konstantin Scherbakov (Steinway & Sons, 2018, avec en miroir les 12 Etudes d’exécution transcendante de Liszt - notre article du 28 novembre 2019) l’ont démontré. Ils ont précédé Florian Noack, auquel on décernera cependant la palme de l’interprétation la plus intense et la plus approfondie.

Proche du Groupe des Cinq, en particulier de Mily Balakirev, Liapounov se produisit comme pianiste et chef d’orchestre et devint professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Au-delà de compositions symphoniques et de mélodies, il a laissé un grand nombre d’œuvres pour le piano. La familiarité de Florian Noack avec l’univers du compositeur russe dans ses deux disques précédents se confirme dans sa version des Etudes d’exécution transcendante, à la fois poétiques, chatoyantes et techniquement accomplies. On lira avec intérêt ses remarques pertinentes quant à la dédicace « spirituelle » à Franz Liszt, les Etudes du Russe étant un prolongement du cycle du Hongrois auquel on pense souvent lors de l’audition. Pourtant, les beautés que Liapounov distille ne relèvent pas d’abord du spectaculaire. Noack souligne les capacités de lyrisme, de souffle et de bravoure contenues dans ces pages tout en ajoutant : il me semble que sa vraie nature est davantage celle d’un introspectif

On s’en convainc dès la Berceuse initiale, d’une fluidité émotionnelle qui installe d’emblée le climat mis en évidence par Noack dans son propos. Le pianiste a saisi avec intelligence les contrastes qui vont suivre, dès la Ronde des fantômes, ludique et imprévisible, puis dans un Carillon à la fois solennel et fantasque, avant un Terek (nom d’un fleuve caucasien) entre impétuosité et apaisement. La Nuit d’été étale une volupté que la Tempête contrarie, dans sa masse impressionnante, parfaitement maîtrisée, la plus proche peut-être de Liszt par l’esprit et l’écriture. L’Idylle apporte sa part de rêve et précède un Chant épique aux effets éminemment russes et emphatiques que Noack ne surcharge pas. On aborde un univers féerique aves les Harpes éoliennes dont les fragilités raffinées installent une magie, bien nécessaire avant la page enfiévrée, en forme de feu d’artifice de plus six minutes, qu’est la Lezghinka. Ici, l’influence de l’Islamey de Balakirev coule de source à travers des rythmes fougueux que Noack a l’art de ne pas laisser se perdre dans des excès dynamiques : il les pare de couleurs vives, aérées et énergiques. Une vraie réussite, qui permet à la Ronde des sylphes qui suit d’émerveiller l’auditeur par une brillante transparence, évocatrice de lumière. Le cycle s’achève par un hommage nominatif, l’Élégie en mémoire de Franz Liszt, dont le sujet est sans doute grave dans son évocation, mais avant tout empreint d’un respect dans l’approche qui permet au pianiste de confirmer cette introspection qu’il voit en Liapounov « qui se force un peu dans l’apothéose ». Ce vaste nocturne clôture de façon passionnée un cycle dont Florian Noack, avec son jeu tour à tour feutré ou héroïque, met en évidence la hauteur de vues, tout en lui apportant les lettres de noblesse dont on mesure, grâce à lui, la valeur intrinsèque.

Enregistré dans un studio de la Radio allemande, à Cologne, du 2 au 5 juin 2020, ce très bel album à thésauriser bénéficie d’une dynamique sonore, dont une certaine réverbération sert bien la technique précise de l’artiste. Florian Noack signe la version moderne de référence de ces 12 Etudes d’exécution transcendante

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10 

Jean Lacroix      

 

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