Four Walls, l’hommage d’Alexei Lubimov à John Cage

par

John Cage (1912-1992) : Four Walls, pour piano et voix. Alexei Lubimov, piano ; Marianne Pousseur, soprano. 1994. Notice en anglais et en français. 55.10. Fuga Libera FUG 793.

Cage est arrivé à Moscou quarante-quatre ans après ma naissance. Nous avons bu de la vodka et mangé des pissenlits. […] Dans le 21e auditorium du Conservatoire de Moscou, où nous avons eu une réunion avec lui, si vous regardez bien, vous verrez encore ses empreintes digitales. Ce souvenir, agrémenté de photographies de cet événement de 1988, est évoqué par Alexei Lubimov (°1944) dans la notice, signée par le pianiste en juillet 2022, de cet album Fuga Libera, reflet d’un concert donné au Festival de musique de chambre de Lockenhaus, dans la nuit du 8 au 9 juillet 1994, entre minuit et une heure du matin. 

Ce n’était pas la première fois que ce virtuose, qui n’a pas hésité, en avril dernier, à désapprouver la guerre de Poutine en Ukraine, jouait du John Cage à Moscou, sa ville natale. Dans une autre notice, Lubimov évoque une série d’événements qui tournent autour de dates commémoratives qui ont suivi la disparition de Cage (1992, 2002 et 2012), marquées par des prestations scéniques avec des danseurs. Cage avait lui-même entamé dès 1942 une collaboration avec le danseur et chorégraphe américain Merce Cunningham (1919-2009). En 2012, Mikhail Baryshnikov (°1948) a monté Four Walls avec la complicité de Lubimov dans un spectacle à New York, auquel a participé la Merce Cunningham Dance Company, malgré la cessation de ses activités. C’est dire si, entre Cage, Lubimov et ces Four Walls (« Quatre Murs »), il existe une évidence qui se concrétise et prend tout son sens dans le présent concert.

Cette musique, qui navigue entre transe, statisme, minimalisme et instantanés dont certains se révèlent hypnotiques, est à la fois envoûtante, surprenante et troublante ; on y perd vite la notion du temps, d’autant plus que des moments de silence prolongé viennent s’y intercaler. L’œuvre est en deux Actes pianistiques avec, au sein du premier, une brève intervention vocale d’à peine deux minutes, sublimement poétique, proposée par Merce Cunningham, que Marianne Pousseur (°1961) interprète avec un esthétisme éthéré, dans un climat d’apesanteur. On baigne dans un univers d’introspection, parfois fragile, en immersion entre respiration retenue et jaillissement de notes. Ce jeu de l’esprit (ces « Quatre Murs » seraient-ils ceux auxquels se heurte notre inconscient ?) dont Lubimov se déclare avoir été un apôtre instantané, relève d’un matériau à la fois simple et diatonique, soumis à des séquences arithmétiques, expliquées par l’interprète, qui n’excluent pas la dimension métaphysique, voire spiritualiste, de cet ensemble fascinant.

Alexei Lubimov se révèle un impeccable transmetteur de ces Four Walls, comme l’ont été notamment Richard Bunger (avec la voix de Jay Clayton) pour Tomato en 1989 ou John McAlpine (avec Beth Griffith) pour Largo en 1996. Il fait vivre cette expérience pianistique hors normes avec une véritable dévotion. 

Son : 8 ,5  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

 

 

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