Première discographique pour l’opéra The Dragon of Wantley de JF Lampe, un ami de Haendel

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John Frederick Lampe (1703-1751) : The Dragon of Wantley, opéra en deux actes.  Mary Bevan (Margery), Catherine Carby (Mauxalinda), Mark Wilde (Moore of Moore Hall), John Savournin (Gubbins/Le Dragon). The Brook Street Band, direction John Andrews. 2021. Notice et livret exclusivement en anglais. 107.56. Un album de deux CD Resonus RES10304.  

Né à Brunswick, dans le nord de l’Allemagne, le compositeur et musicographe Johann Friedrich Lampe, qui étudie en Saxe avant de rejoindre Hambourg pour une courte période, serait sans doute tombé dans l’oubli s’il n’avait bénéficié, à Londres, de l’amitié de Georg Friedrich Haendel qui le fit entrer dans l’orchestre de l’opéra comme bassoniste, instrument dont il excellait. Ayant anglicisé ses prénoms, John Frederick Lampe se met à composer des pantomimes, des intermèdes et des musiques de scène. Sa rencontre, peu après son arrivée en Angleterre, avec le poète Henry Carey (1687-1743), fils illégitime d’un marquis, donne une autre dimension à sa création. Dès 1732, un opéra léger, Amelia, concrétise la collaboration entre les deux artistes.

Le succès remporté en 1728 par le Beggar’s Opera de Johann Christoph Pepusch, sur un livret de John Gay, fait des émules dans le domaine parodique et la satire-pastiche des conventions du genre. En 1737, année où il écrit un traité d’harmonie et d’accompagnement qui fera longtemps autorité, Lampe compose The Dragon of Wantley, sur un autre livret de Carey. L’œuvre reçoit un accueil très positif et connaît 69 représentations. L’intrigue, d’après une ballade du XVIIe siècle, en est attrayante ; elle est décrite dans la notice d’Annette Rubery. Un dragon rapace s’attaque à un village du Yorskhire dont il terrorise les habitants en les dévorant. Gubbins et sa fille Margery s’accordent avec Mauxalinda pour appeler à l’aide Moore of Moore Hall, grand amateur de bière. Ce dernier succombe au charme de Margery et lui propose le mariage, tout en faisant la même promesse à Mauxalinda. Il faudra que le triangle amoureux soit résolu avant que Moore ne s’attaque au dragon et ne s’en défasse par un coup de pied dans le dos. La paix reviendra au village.

Sur cette trame, Lampe construit une action musicale en deux actes. Pour le présent enregistrement, réalisé du 1er au 4 septembre 2021 dans l’église anglicane de St Jude-on-the-Hill, une synthèse a été faite entre les deux versions existantes. La première a été publiée en 1738, après le succès londonien de la création, sans les récitatifs ; la seconde, pour la reprise de 1740, contient les récitatifs, mais une série d’airs ont été coupés. L’ensemble, qui débute par une introduction instrumentale pompeuse et solennelle, est un savoureux cocktail d’éléments galants, de style raffiné, de musique colorée astucieusement italianisante, qui tend parfois à la sophistication. Ce cocktail est agrémenté de moments plaintifs ou joyeux (la chanson à boire de Moore), d’airs et de récitatifs bien conduits, à l’écoute desquels on ne peut s’empêcher de penser parfois à une influence de Haendel. Les soli instrumentaux sont virtuoses, les aspects dansés sont agréables, les interventions vocales oscillent entre pantomime et satire, dans un contexte léger. 

Le plateau vocal est dans la ligne parodique de cet opéra burlesque et de ses effets comiques. La soprano anglaise Mary Bevan (Margery), qui a pratiqué Bach, Haendel et Mozart mais aussi Sullivan et Turnage, et la mezzo Catherine Carly (Mauxalinda), d’origine australienne, qui s’est illustrée dans Monteverdi, Wagner et Richard Strauss, sont les deux rivales amoureuses, avec une élégance mélangée à des excès de comédie. Le baryton-basse anglais John Savournin incarne le double rôle de Gobbins et du Dragon. Ce chanteur, qui fait aussi carrière dans le domaine de l’opérette, joue d’un registre héroïco-comique qui fait un bel équilibre avec le ténor écossais Mark Wilde, un ardent défenseur de Britten, Elgar et Vaughan Williams, qui campe un très plaisant et truculent Moore of Moore Hall. Ces quatre protagonistes sont réunis pour l’une ou l’autre intervention chorale.

C’est The Brook Street Band qui officie, avec une verve habile. Fondé en 1997 par le violoncelliste baroque Tatty Theo qui en fait toujours partie, cet ensemble orchestral d’une vingtaine de musiciens, qui travaille notamment pour la BBC Radio 3, porte le nom de la rue londonienne où Haendel a vécu pendant trente-cinq ans. Il est spécialisé dans le domaine de la musique baroque. Il est dirigé ici avec la finesse et l’élan nécessaires par John Andrews qui, pour le même label Resonus, a gravé en 2021 The Dancing Masters de Malcolm Arnold. Tous les intervenants de cette première discographique de The Dragon of Wantley de Lampe ont pris à cœur de servir au mieux ce jalon de l’opéra baroque du XVIIIe siècle. Sans crier au chef-d’œuvre, le plaisir de la découverte est réel.

Son : 8,5   Notice : 9   Répertoire : 7,5   Interprétation : 8,5

Jean Lacroix      

 

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