Hautbois & piano, deux nouvelles parutions, avec Pauline Oostenrijk, Gabriel Pidoux et Jorge Gonzalez Buajasan

par

Fantasia. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Fantasias en la mineur, si mineur, ut majeur, ré mineur, mi mineur TWV 40:3, 4, 6, 7, 9 [Douze Fantaisies pour flûte traversière sans basse]. Fantasias en ré mineur, ut majeur, mi mineur, la majeur, si mineur TWV 33:2, 14, 21, 31, 33 [Fantaisies pour le clavecin]. Postludium In memoriam de Pauline Oostenrijk d’après TWV 33:19, 21, 31. Pauline Oostenrijk, hautbois, piano. Août 2021. Livret en anglais, néerlandais. TT 62’02. Cobra Records 0085

Romance. Robert Schumann (1810-1856) : Drei Romanzen Op. 94. Edward Elgar (1857-1934) : Salut d’amour Op. 12. Léopold Wallner (1847-1913) : Trois Pièces romantiques. Marina Dranishnikova (1929-1994) : Poème. Clara Schumann (1819-1896) : Trois romances Op. 22. Gabriel Pidoux, hautbois. Jorge Gonzalez Buajasan, piano. Janvier 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 49’26. Alpha 789

Cinq Fantaisies tirées du célèbre lot pour flûte traversière, et jouées au hautbois, ce que permet la tessiture sur facture moderne. Cinq Fantaisies parmi les trois douzaines consacrées au clavecin, et jouées au piano, avec l’appoint du Soave en sol mineur ; trois autres de ce même lot TWV 33 inspirent en fin de parcours un postlude mémoriel, joué… au hautbois. Quel instrument conviendrait-il mieux dans le registre de la déploration ?! Suscitant et prolongeant l’humeur mélancolique qui s’instille dans cette anthologie (les trois quarts des pièces sont en mineur), le sentiment de deuil s’exprime en aparté dans les émouvantes notices que Pauline Oostenrijk dédie à son ancien professeur Huib Nieuwenhuizen, à son amie pianiste Loes Geusebroek, à son animal de compagnie, tous disparus. 

Professeur au Conservatoire de Groningen, l’interprète néerlandaise conçoit cette anthologie comme un dialogue « entre moi comme hautboïste et moi comme pianiste », au gré de son programme qui alterne les deux instruments (à l’instar d’un de ses précédents CDs de miniatures paysagistes, The Notes are swallows, chez le même label), inattendus dans ce répertoire d’emprunt. Exécutés avec l’aisance technique et la sensibilité qui conviennent, captés par une prise de son douce et naturelle. Même si l’exécution de certaines pages pour clavier semble traîner, ou manque un peu de projection (Fantaisie en ré mineur TWV 33), voilà un album attachant, tant par sa palette tonale que par la sincérité des hommages qui se dessinent en arrière-plan. 

« Tout est parti des Trois Romances de Robert Schumann, que j’ai jouées Salle Gaveau en 2020 lors de la cérémonie des Victoires de la musique classique » indique Gabriel Pidoux dans l’interview du livret. Leur répondent les propres romances de la dédicataire, Clara : son opus 22 originellement pour violon, que Fabien Thouand a récemment gravé dans son album Der Wanderer (Deutsche Grammophon, 2017). Au milieu du couple rhénan, le programme invite des auteurs plus rares et tardifs, comme ce Poème (1953) d’une proche de Prokofiev, Marina Dranishnikova, qu’avait déjà enregistré Ivan Paisov (The Russian oboe, Naxos, juillet 2006). Ou ce Léopold Wallner, né en Ukraine d'une mère polonaise et d'un père autrichien, avant que la famille ne s’installe à Bruxelles où il enseigna au Conservatoire. Son catalogue, essentiellement chambriste, inclut ces Trois Pièces dédiées à son ami Guillaume Guidé (1859-1917), auquel nul moins que Richard Strauss offrit une photographie dédicacée « au excellent poéte de l'hautbois. De son reconnaissant admirateur ». Superbe triptyque, dont une vibrante Rêverie où le piano est investi d’un soutien particulièrement inspirant. Le mélodieux Salut d’amour d’Elgar vient démontrer le cantabile de Gabriel Pidoux, et sa maîtrise du registre aigu.

La concurrence discographique est plus rude pour l’opus 94 de Schumann. Outre les notoires albums de Heinz Holliger & Alfred Brendel (Philips, 1980) et Douglas Boyd & Maria-João Pires (DG, 1995), l’école française a souvent brillé dans ces célèbres Romanzen. On s’y rappellera Pierre Pierlot & Jean Hubeau (Erato, 1980), Jean-Louis Capezzali & Chia Chou (Pierre Vérany, 1994), François Leleux & Éric Le Sage (Alpha, 2007, in Klavierwerke & Kammermusik - III). On peut désormais ajouter cette réalisation tout à l’honneur de ces trois bijoux du romantisme germanique, servis sobrement pour l’anche (une volonté de classiciser ces pages arrachées au cœur ?) et néanmoins sertis par un Jorge Gonzalez Buajasan tout de sensibilité et d’intelligence, puissamment caractérisé. La qualité de l’interprétation par notre duo franco-cubain s’inscrit dans l’acoustique nette et charnue de la Salle Colonne, ne laissant rien perdre de leurs échanges réglés.

Ce CD d’une cinquantaine de minutes aurait pu convier d’autres œuvres d’évidence reliées à leur généreuse thématique. Sans chercher trop loin, l’opus 51 en ré de Saint-Saëns transcrit par Théodore Lalliet (Durand), la Romance pour violon en sol majeur de Max Reger arrangée par Alfred Piguet (Breitkopf), ou la Romance du compositeur anglais Alan Ridout (1934-1996) éditée chez Emerson auraient pu fournir un légitime couplage à ce disque relativement congru. Raison de plus pour passer en boucle cette anthologie qui confirme le talent de ces deux jeunes et prometteurs artistes.

Cobra Records : Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9,5

Alpha : Son : 9,5 – Livret : 7 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

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