1948-1957 : la jeunesse talentueuse de Friedrich Gulda

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano et orchestre n° 25 en do majeur K. 503 et n° 26 en ré majeur K. 537 ; Sonate pour piano n° 18 en ré majeur K. 576. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour piano n° 4 en mi bémol majeur op. 7, n° 7 en ré majeur op. 10 n° 3, n° 8 en do mineur op. 13 « Pathétique » et n° 19 en sol mineur op. 49 n° 1. Richard Strauss (1864-1949) : Treize lieder ; Burlesque en ré mineur pour piano et orchestre. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Konzertstück en fa mineur pour piano et orchestre op. 79. Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano et orchestre n° 1 en mi mineur op. 11 ; Ballades n° 1 à 4 op. 23, 38, 47 et 52. Claude Debussy (1862-1918) : Préludes, Livres I et II ; Suite bergamasque ; Pour le piano. Maurice Ravel (1875-1937) : Valses nobles et sentimentales ; Gaspard de la nuit ; Sonatine. Friedrich Gulda, piano ; Hilde Gueden, soprano ; New Symphony Orchestra et London Symphony Orchestra, direction Anthony Collins ; Orchestre Philharmonique de Vienne, direction Volkmar Andrae ; London Philharmonic Orchestra, direction Sir Adrian Boult. 1948-1957. Notice en allemand et en anglais. 432.15. Un coffret de six CD Profil Hänssler PH19017.

À sa disparition le 27 janvier 2000, jour anniversaire de la naissance de Mozart, (un clin d’oeil à un compositeur qu’il a toujours si bien servi ?), le Viennois Friedrich Gulda n’était âgé que d’un peu plus de 69 ans. Depuis lors, des hommages, chez DG en 2015, puis un gros pavé de 41 disques chez Decca en 2020, ont rappelé le souvenir de cette figure devenue légendaire, non seulement pour ses qualités de virtuose, mais aussi pour ses côtés iconoclastes et ses comportements déroutants. Le label SWR, de son côté, a documenté une série de concerts en public ou de gravures en studio dans plusieurs publications. Nous avons présenté deux d’entre elles : concertos de Mozart, Beethoven, Haydn et Burlesque de Richard Strauss des années 1959-1962 (article du 17 février 2020) et deux récitals Bach/Beethoven/Debussy/Haydn/Mozart/Ravel de 1959 (article du 30 mars 2021). Nous laissons au lecteur le loisir de redécouvrir les aspects biographiques alors esquissés. Cette fois, le label Profil Hänssler regroupe une sélection des années 1948 à 1957, avec des prestations à Londres et à Vienne, proposant ainsi quelques exemples significatifs de la jeunesse de Gulda, qui, dès 1946, remporta à seize ans le Concours international de Genève. Dans la foulée, il se mit à composer et joua en soliste ou sous la direction des grandes baguettes du temps. L’attrait pour le jazz n’allait pas tarder ; on sait l’importance de cette découverte dans l’évolution musicale du pianiste et du créateur.

En 1948, Mozart est déjà à l’affiche à Londres, avec une Sonate n° 18 dont Gulda traduit l’apparente simplicité sans y ajouter la moindre galanterie. A dix-huit ans, le jeune pianiste montre sa compréhension instinctive d’un univers qu’il servira avec tant de vitalité sept ans plus tard, dans la même ville, lorsqu’il sera le partenaire du New Symphony Orchestra dirigé par Anthony Collins, fin et distingué, pour les Concertos 25 et 26. Nous avons ici la quintessence de la vision que Gulda a toujours eue de Mozart : une tenue dynamique complétée par une immédiateté du geste qui évoque souvent l’esprit de l’improvisation. Avec le même Collins, mais cette fois avec le London Symphony, Gulda avait signé, l’année précédente, une décoiffante Burlesque de Richard Strauss, fantasque et déjantée, supérieure en aspects percussifs à celle de 1962 à Baden-Baden avec Hans Müller-Kray (dans le coffret SWR cité plus avant) et surtout à celle de Salzbourg en 1957 avec Böhm (Orfeo), dénaturée par le son. C’est sans doute l’un des témoignages les plus spectaculaires de Gulda, dont la technique est ici ébouriffante. Les vertus du jazz n’y sont pas pour rien ; tout porte à croire que, dans son jeu, l’incandescence qui traverse l’œuvre vient de cette autre passion.

Gulda s’est taillé une belle réputation en gravant trois intégrales des sonates de Beethoven. On trouve ici des exemples londoniens de quatre d’entre elles, gravées entre 1954 et 1957, au sein desquelles la rigueur se manifeste dans une approche intellectuelle mêlée à des tempos animés, en particulier dans une Pathétique à la fois dense et chantante. Le Konzertstück de Weber est enlevé avec une joie communicative que le virtuose transmet en 1956 à un Philharmonique de Vienne dirigé par le chef suisse Volkmar Andrae, un spécialiste de Bruckner. Pour le récital viennois de treize lieder de Richard Strauss de septembre 1956 à Vienne avec Hilde Gueden, on ira plutôt vers la gravure qu’en a proposé Decca, au son moins émacié. L’élégance de cette magnifique cantatrice, qui sert l’un de ses compositeurs de prédilection avec grâce et émotion, est mise en valeur par Gulda qui trouve les nuances nécessaires. Un disque consacré à Chopin est un témoignage de février 1954. Le Concerto n° 1, dirigé avec une noblesse détendue par Sir Adrian Boult, montre un Gulda raffiné et lyrique. Les quatre Ballades offrent au pianiste la possibilité de montrer sa fantaisie, associée à une vraie fraîcheur de ton.  

La présence de pages de Debussy et de Ravel est très bienvenue. Gulda a souvent inscrit les deux Français à ses programmes. Les deux Livres des Préludes du premier nommé (Vienne, 1955) soulignent toutes les nuances de couleurs et de poésie, avec une hauteur de vues personnelle qui donne à ces recueils un éventail de sentiments, révélés avec pudeur dans de vraiment tristes et lents Pas sur la neige ou dans une bien mystérieuse Cathédrale engloutie. La Suite Bergamasque (Londres, 1953) et Pour le piano (Londres, 1957) confirment les affinités de Gulda avec la magie sonore de Debussy. Cette même connivence se prolonge dans de subtiles Valses nobles et sentimentales de Ravel, avec une ravissante Sonatine (Londres, 1957) et surtout dans Gaspard de la nuit (Londres, 1953) dont le jeune homme de 23 ans livre un Gibet inquiétant.

Ce coffret diversifié cible de façon majoritaire la décennie 1950, celle des moins de trente ans de ce pianiste hors normes. Il dévoile tout autant un classicisme qui sait se révéler rigoureux qu’une liberté de ton et une approche personnalisée des partitions abordées. Il confirme que l’on a affaire à un grand du piano, dont le souvenir doit être sauvegardé avec le plus grand soin. On n’attribuera à la squelettique notice qu’une note d’insatisfaction : on la souhaiterait davantage centrée sur les circonstances qui ont entouré les interprétations que sur des généralités. Comme pour le récent coffret consacré à Wanda Landowska, Torben Widdermann fait un travail de restauration sonore très satisfaisant.

Son : 7,5  Notice : 2  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 



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