"Héroïne » à l’Opéra national de Lorraine 

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L’Opéra de Lorraine a lui aussi décidé de proposer une soirée réunissant plusieurs opéras distincts pour les inscrire dans une autre perspective, leur conférer des sens nouveaux. Comme La Monnaie avec ses deux « Bastarda » consacrés aux opéras « Tudor » de Donizetti, « Rivoluzione e Nostalgia » regroupant des extraits d’opéras de jeunesse de Verdi et, à venir cette saison, « I Grotteschi » à partir de trois opéras de Monteverdi.

A Nancy, il s’agit de trois oeuvres bien distinctes, mais envisagées sous un autre point de vue, celui de la « transgression » (c’est d’ailleurs le thème général de la saison lorraine), d’une interrogation de nos limites. 

Dans Sancta Susanna de Paul Hindemith, soeur Suzanne va revivre ce qu’a vécu une autre sœur quarante ans plus tôt : aller enlacer le crucifix de l’autel avec son corps nu. Céder à l’appel de la chair pour combler l’esprit ! Un acte blasphématoire condamné par ses sœurs aux cris de « Satan ».

Dans Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók, Judith, la jeune épouse du Duc Barbe-Bleue, veut qu’il lui ouvre sept portes dans le château, des portes qui condamnent les lieux à l’obscurité. Elle veut que règnent désormais la lumière et la joie. Terribles découvertes, désir fatal de vérité.

Dans La Danse des morts, un oratorio d’Arthur Honegger sur un texte de Paul Claudel, une récitante dialogue avec le chœur, une morte et l’espoir-l’annonce de la résurrection des corps, les squelettes récupérant leur chair. Dépassement de la mort. Danse des morts.

Il me faut l’avouer, ce que je retiens de cette soirée, bien plus que la mise en perspective thématique des panneaux de son triptyque, c’est sa « mise en scène », dans ses images et dans ses partitions.

La force du propos vient de la force de la mise en scène. Anthony Almeida a conçu un dispositif scénique qui amplifie le propos de chacune des pièces et leur confère une unité. Il n’est pas étonnant qu’il ait déjà été récompensé à de nombreuses reprises. Au coeur d’une grande obscurité, nous découvrons un immense parallélépipède, au plancher en pente, et qui crée un effet de perspective. Un décor (dû à Basia Binkowska) qui tourne et ce faisant se multiplie dans ses apparences mobiles, dans ce qu’il révèle de jusqu’alors caché, dans les magnifiques jeux de lumières et d’ombres (de Franck Evin) qu’il permet. Un décor nu qui nous met face à face avec les « Héroïnes », dans une confrontation bouleversante qui focalise notre attention, nos émotions. La possession de Susanna, la curiosité insatiable fatale de Judith. C’est fascinant. Un dispositif scénique riche en images fortes. Et surtout qui ne nous distrait jamais de la musique et du chant, d’une partition dont on ne perd rien. C’est à souligner.

D’autant plus que Sora Elisabeth Lee, la cheffe d’orchestre, a compris à merveille les trois partitions du triptyque, dont elle révèle les nuances, bien suivie en cela par le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, dont certains instrumentistes ne ratent pas l’occasion que leur offrent pas mal de traits solistes des oeuvres. 

Quant aux voix, elles s’imposent elles aussi : le si convaincant duo Rosie Aldridge-Judith (et en sœur Klementia) et Joshua Bloom-Barbe-Bleue ; Anaïk Morel en Sancta Susanna, âme et corps possédés (alto aussi dans La Danse). Ou encore Apolline Raï-Westphal, Yannis François, Séverine Maquaire. Et Claire Wauthion, la récitante de La Danse des morts.

Oui, un triptyque qui vaut par chacun de ses panneaux et l’ensemble qu’ils constituent.

Nancy, Opéra, 6 octobre 2024

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : Jean-Louis Fernandez

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